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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.

À l’appui de ses menaces, de ses intrigues, de ses moyens de corruption, Théophile publia un écrit diffamatoire contre la personne de Chrysostome, odieux libelle par lequel il prétendait se justifier en noircissant sa victime. Un hasard, que nous ne qualifierons pas d’heureux, nous a conservé un fragment de ce libelle dans l’ouvrage d’un évêque du vie siècle, adressé à l’empereur Justinien. On rougit aujourd’hui d’avoir à lire ce qu’un prêtre, et le plus important des patriarches d’Orient, ne rougissait pas d’écrire sur l’homme qu’il avait assassiné. L’auteur se sert de son savoir théologique pour créer des accusations insensées de maléfices, et des livres saints pour y puiser des formules étranges de malédiction et d’outrage. On apprend par ce livre que Jean était un démon impur dont les paroles roulaient comme un torrent de boue dans les âmes, un traître, compagnon de Judas, et que, ainsi que Satan se transforme en ange de lumière, Jean n’était pas effectivement ce qu’il semblait être, qu’il avait persécuté ses frères par l’esprit infernal dont Saül était agité, et fait mourir les ministres des saints. Chrysostome était encore appelé « un homme souillé et corrompu, impie dans l’église des premiers-nés, dominé par les fureurs d’une volonté tyrannique, et se faisant gloire de sa propre folie. — Il avait livré son âme au démon pour la corrompre par un infâme adultère ; son sacerdoce avait été détestable, ses offrandes sacriléges ; il avait été un ennemi de l’humanité, et surpassait par son crime la témérité des larrons. » Aussi les liens dans lesquels Jean avait été engagé ne pouvaient plus être rompus, et Théophile entendait la voix de Dieu qui lui criait : « Il faut juger entre cet homme et moi ! » — La plume se refuse à retracer d’aussi abominables injures, et pourtant Jérôme, par condescendance pour le patriarche d’Alexandrie, son ancien ennemi, réconcilié aux dépens des origénistes, eut la faiblesse de traduire en latin cet odieux libelle pour le faire connaître aux Occidentaux : regrettable défaillance d’un si beau mais si capricieux génie !

Il faut croire, pour l’honneur de l’humanité, que ces diffamations bibliques, loin de nuire à la cause de la victime, firent pencher vers elle plus d’un cœur honnête encore incertain. Quant à Théophile, il ne porta pas loin son impudence et son audace : un jour de l’année 412, on le trouva mort dans son lit après une longue léthargie ; mais sa mort ne délivra point l’église d’Alexandrie des habitudes de discorde et d’intrigue que ce patriarche y avait enracinées pendant une administration de vingt-sept ans. Une autre mort eut de plus grandes conséquences dans les affaires d’Orient, celle du patriarche intrus d’Antioche, Porphyre, décédé la même année. Deux des trois chefs avaient donc disparu ; mais l’armée restait encore, et l’autorité de l’intrus de Constantinople maintenait tant bien que mal le reste des églises dans la loi du schisme.