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deux s’entendraient aisément pour un bon choix. Il avait le cœur oppressé par l’idée qu’à la tête de cette église, sur laquelle il avait veillé si longtemps avec les yeux d’un père, ses ennemis placeraient un homme dont le premier acte serait de renier sa communion, ne comprenant pas que son nom pût être maudit et couvert d’anathèmes par ses propres enfans. Il sentait bien la difficulté de réussir dans cette délicate affaire, mais il terminait sa lettre par ces mots : « Il faut faire ce qui se peut, qu’importe un échec ? Dieu considère notre cœur et non le succès de nos actions. » Cette affaire en effet était fort embrouillée ; Olympias, frappée elle-même d’exil, ne put s’en occuper beaucoup, et Modowar, chargé de ramener un évêque à son roi, s’impatientait sans doute des lenteurs. En tout cas, Chrysostome mourut avant de connaître la fin de cette histoire.

Le troisième projet qui agitait le cœur et l’esprit de l’ancien archevêque dans sa solitude de Cucuse dénote une audace à peine croyable. Ce banni, emprisonné à l’extrême limite du monde romain, entre des bandits et des neiges, se mit à rêver la conversion de la Perse. Il n’avait pu se trouver là, sur la frontière, pour ainsi dire, de ce paganisme fameux des mages, sans se sentir ému de colère au récit de leurs superstitions, et dès lors il n’eut plus qu’une idée, chasser ces prêtres imposteurs, dévoiler leurs mensonges, éteindre leur foyer sacrilège, et planter la croix de Jésus-Christ dans le palais du grand-roi. Une fois cette idée bien arrêtée dans sa tête, il chercha des hommes d’action aventureux, intrépides, et n’hésita pas à s’adresser à un évêque qui s’était montré son ennemi au concile du Chêne ; leur réconciliation devait être à ce prix. L’évêque dont je parle n’était autre que ce Maruthas, un des juges de l’archevêque, et celui dont la sandale ferrée avait écrasé le pied de Cyrinus dans un conciliabule à Chalcédoine.

La Perse n’avait pas été complètement fermée aux tentatives de prédication chrétienne, et, pour ne point parler des temps apostoliques, quelques succès avaient été obtenus, du vivant de Constantin, par l’initiative courageuse d’un solitaire appelé Siméon de Nisybe ; mais les adorateurs du feu reprirent bientôt le dessus, et la persécution de Sapor anéantit pour un demi-siècle ces rudimens vénérables de la foi chrétienne. Une circonstance fortuite les ranima. L’empereur Théodose avait une négociation à suivre vis-à-vis du roi de Perse, pour des intérêts que nous ignorons, peut-être quelque délimitation de territoire, et il choisit pour son envoyé un prêtre de la province de Sophêne, située sur la frontière même de la Mésopotamie et de la Perse. L’ambassadeur était un homme simple, mais avisé ; tout en traitant des intérêts qu’il venait débattre, il observait l’état religieux de la Perse, et s’aperçut