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tions ! Ils ne voient pas que seuls maintenant ils représentent la dictature et l’arbitraire ; voilà tout ce qu’ils ont à offrir. Ce sont des autocrates de fantaisie promulguant les décrets de la future république et ayant à leur tour la prétention d’imposer au pays un autre genre d’absolutisme, l’omnipotence révolutionnaire. Ils choisissent mal leur moment, ils ont contre eux l’évidence des choses, l’instinct public, la force morale d’une situation toute nouvelle créée par la liberté et pour la liberté.

C’est justement cette situation que le ministère du 2 janvier personnifie à un point de vue supérieur, c’est sa raison d’être. Sa première mission est évidemment de maintenir le caractère et l’intégrité de ce mouvement de liberté légale qui est sorti des entrailles du pays, et qui l’a porté au pouvoir comme le représentant de la politique nouvelle. Le ministère du reste paraît bien avoir compris que le plus grand danger pour lui, aussi bien que pour la situation tout entière, serait l’équivoque, et les déclarations que M. Émile Ollivier a renouvelées avec autant de fermeté que de mesure devant le sénat et le corps législatif sont parfaitement claires ; elles signifient que le gouvernement se sent responsable de cette pacifique révolution, dont il est le mandataire au pouvoir, et que, sans cesser un instant d’en développer les conséquences sérieuses, légitimes, il est prêt à la défendre contre tous les empiétemens révolutionnaires. Il a mieux fait, il a confirmé ses paroles par l’action à l’instant même. Le ministère, dès qu’il en a trouvé l’occasion, s’est dessiné tel qu’il est, tel qu’il veut être, résumant sa politique d’un mot heureux lorsqu’il a dit qu’il pourra devenir en certains momens la résistance si on l’y contraint, qu’il ne sera jamais la réaction, et les déclarations ministérielles ne laissent peut-être pas d’avoir eu quelque effet. Depuis la bourrasque imprévue née du meurtre d’Auteuil, depuis quinze jours en particulier, il n’est point douteux qu’il y ait eu |un certain apaisement. On commence à ne plus parler de journées nouvelles, on se tient pour satisfait de celle qu’on a eue. M. Henri Rochefort a été condamné sans aucun excès de rigueur par la police correctionnelle, et il n’y a pas eu la moindre manifestation. M. Ledru-Rollin, à qui on avait adressé un pressant appel et qui avait un moment promis de rentrer, a fini par écrire une lettre mélancolique où il cite Démosthènes et Cicéron pour se retrancher, en dernière analyse, dans une réserve majestueuse. C’est tout au plus si deux ou trois journaux, dans leur monotone violence, continuent à porter le gouvernement en terre tous les matins et à prêcher le refus de l’impôt ou la grève universelle. C’est une distraction un peu irritante et qui, au total, n’est pas de grave conséquence. Enfin on est un peu rentré dans l’ordre. Comment s’expliquer cet apaisement ? Est-ce parce que le gouvernement, ayant la force en main, semble très décidé à s’en servir s’il le faut, et parce que nous avons un ministre de l’intérieur montant à cheval pour aller lui-même disperser les faiseurs de manifes-