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cette constitution remaniée, refondue et corrigée, le sénat a fait entrer des détails presque minutieux et des choses au moins superflues ; il a tenu à ce qu’on sût bien que l’empereur prononce la clôture des sessions, qu’il nomme et révoque les conseillers d’état ; il est allé même jusqu’à imprimer le sceau fondamental à des particulariiés du règlement intérieur des chambres ; il a érigé le comité secret en dogme, de telle sorte que par le fait, sans qu’on l’ait voulu, sans qu’on y prenne garde, la situation ancienne se trouve singulièrement aggravée. Autrefois du moins, si la constitution renfermait des minuties, elle pouvait être réformée, et elle l’a été plus d’une fois ; si le corps législatif n’avait rien à voir dans une telle réforme, le sénat était encore consulté ; c’était, faute de mieux, l’apparence d’une intervention législative. Aujourd’hui ce n’est plus même cela. Il faut un plébiscite pour statuer sur le scrutin de liste aussi bien que sur la dynastie. On rend de cette manière, à ce qu’on dit, le pouvoir constituant au peuple ; oui, à une condition, c’est que le chef de l’état est seul juge de ce qu’il soumettra au peuple et de l’heure où il le consultera. Ainsi, voilà qui est clair, un article constitutionnel prétend que l’empereur gouverne avec le concours du sénat, du corps législatif ; mais, quand il s’agit de la première des questions de gouvernement, les deux assemblées ne sont plus que les très humbles et très inutiles spectatrices d’un tête-à-tête mystérieux du chef de l’état et du peuple. Disons le mot, on place la constitution sous clé, et on remet la clé à l’empereur. On dira tout ce qu’on voudra, on vantera les merveilles du système plébiscitaire ; ce n’est point là certainement du libéralisme, et, puisqu’on en est maintenant à citer si souvent Montesquieu, on devrait se souvenir de la distinction qu’il fait entre le pouvoir du peuple et la liberté du peuple. Nous sommes, nous, pour la liberté du peuple contre ce qui n’est que l’illusion du pouvoir du peuple, et dans cette discussion qui va s’ouvrir au sénat il est impossible que les esprits sérieux ne soient pas frappés de ces anomalies, qu’ils ne tiennent pas à les faire disparaître ; il est impossible qu’au dernier moment l’empereur lui-même ne sente pas le besoin de dissiper les équivoques par quelque libérale transaction, de rendre à tous les pouvoirs publics le droit de délibérer sur les futures révisions constitutionnelles. C’est ce droit que la constitution nouvelle ne reconnaît pas, c’est ce droit qu’elle doit reconnaître.

Franchement où était la nécessité de soulever tous ces problèmes qui ne sont qu’une source de dissentimens et de scissions ? Un aurait évité facilement ce qui est arrivé en s’attachant à l’intention qu’on avait eue d’abord de dégager, de simplifier la constitution, au lieu de se jeter dans les fondrières des plébiscites présens et futurs. On aurait dû prévoir les complications et se tenir en garde ; mais ici justement commence ce que nous appellerons une question de conduite pour le gouverne-