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développement des sciences physiques a opérées depuis un demi-siècle sur notre globe, tous ces changemens presque à vue dont notre génération a été témoin ont fait une profonde impression sur les esprits ; il en est résulté une foi intense dans le progrès indéfini et des espérances excessives dans l’amélioration de la destinée humaine. Confondant, — c’est son habitude, — l’ordre moral avec l’ordre physique, le peuple, en partie du moins, est arrivé à s’imaginer que la constitution de la société pourrait subir une métamorphose analogue à celle qu’a éprouvée la production. Les raisonnemens spécieux et les sophismes n’ont pas manqué pour fortifier ces rêves. L’on a calculé, il y a quelques années, que la force des chevaux-vapeur employés par l’industrie anglaise représentait le travail de 77 millions d’ouvriers ; ne pouvait-on pas en conclure qu’un jour viendrait où, par le perfectionnement des méthodes et de l’outillage, le travail de l’homme serait pour ainsi dire superflu dans la production ?

De ces idées et de ces sentimens est sorti le socialisme, c’est-à-dire le projet de réédifier la société sur une base artificielle. Nous avons montré combien ce délire est naturel et inhérent à toute société humaine ; nous l’avons suivi en outre dans les progrès qu’il a faits en France, nous avons énuméré les circonstances qui ont accru sa force. On a dû voir que le mal a de profondes racines dans l’état de nos mœurs, de nos croyances et de nos relations sociales. Il n’est pas permis de s’abuser sur l’intensité et sur la durée de ce phénomène : ce n’est pas une crise passagère ou locale. Après avoir ainsi recherché et décrit les causes du développement des idées socialistes en France, nous allons étudier ces secousses transitoires appelées grèves, qui ont si profondément ébranlé dans ces derniers temps la sécurité de notre industrie.


II

Certains publicistes ne veulent reconnaître entre les grèves et le socialisme aucune connexité. Sans doute il peut surgir des coalitions d’ouvriers qui ne soient pas systématiquement produites par des inspirations socialistes, et qui au contraire proviennent de causes particulières à telle industrie ou à telle localité ; mais ce ne sont là que des faits exceptionnels. L’on peut dire que, dans la majorité des cas, les grèves se rattachent à des idées beaucoup plus générales, à des visées plus hautes, à des projets plus ambitieux que les griefs allégués ne sembleraient l’indiquer. Quand elles n’ont pas pour cause une inspiration socialiste, les coalitions ont souvent