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bâties au point de vue du comfortable moderne. Ogden se trouve au centre d’un district agricole, et les habitans jouissent en apparence d’un grand bien-être. Elle rivalise en ce moment avec Corinne pour attirer à elle le monopole du commerce nouveau et sans doute important que l’ouverture de la ligne du Pacifique ne peut manquer de créer sur les bords du Lac-Salé. Il n’est pas encore possible d’indiquer laquelle des deux cités l’emportera sur l’autre ; si Ogden a l’avantage de former le point même d’embranchement des deux grandes voies ferrées, d’un autre côté les habitans de Corinne paraissent distancer leurs rivaux par l’énergie et l’activité qu’ils puisent dans les institutions libres qui les gouvernent. Le mormonisme est intolérant, despotique, jaloux ; c’est au milieu de la république américaine une monstruosité politique et religieuse tout à la fois. Nul doute que l’isolement ne soit pour cette secte une condition essentielle d’existence, nul doute que l’établissement du chemin de fer du Pacifique, qui met en rapport direct le territoire d’Utah avec les grands états de l’est et de l’ouest et qui tend à replacer les habitans sous le droit commun, ne lui ait porté un coup dont elle ne se relèvera pas. Brigham le pressent bien ; déjà même on lui prête le dessein d’abandonner le pays que l’invasion des gentils menace d’infester, et de chercher un dernier refuge dans de nouvelles et inaccessibles solitudes ; mais le père des saints est vieux, il a soixante-dix ans, et l’énergie dont il a fait preuve pendant de longues années commence à lui faire défaut. Des dissensions religieuses ont éclaté au sein même de la cité où naguère il régnait en maître absolu : deux hommes éminens dans leur pays, David et Alexandre Smith, fils de Joseph Smith, le fondateur du mormonisme, ont commencé à l’attaquer publiquement, lui et son système. Les défections ne sont plus isolées, elles deviennent de plus en plus fréquentes ; on prévoit le jour prochain où les membres de la congrégation chrétienne de Salt-Lake-City formeront une minorité imposante que les saints ne pourront plus mépriser et avec laquelle il faudra compter. Ces schismatiques seront d’autant plus à craindre qu’ils se sentent appuyés par la majorité des citoyens des États-Unis. Les mormons ne comptent en effet qu’une faible proportion d’Américains dans leurs rangs. C’est surtout en Angleterre, dans le pays de Galles, en Norvège, en Suède, en Danemark, qu’ils recrutent les plus nombreux et les plus fervens prosélytes. L’antagonisme qui sépare les disciples de Brigham Young et les gentils de l’Amérique a ses racines dans les antipathies de races aussi bien que dans les haines religieuses ; ces différences doivent tôt ou tard disparaître devant la force d’assimilation et de nivellement, résultat naturel des institutions démocratiques, et la