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cet ancien spéculateur enrichi, ce trafiquant en religion, que des milliers d’hommes crédules vénèrent comme l’apôtre vivant de l’humanité ! Les femmes mormonnes que j’ai eu l’occasion de voir ne m’ont paru se distinguer des Américaines que par leur laideur et par le manque d’élégance dans leur toilette. D’après les voyageurs que j’ai consultés, la beauté féminine serait ce qu’il y a de plus rare parmi ces sectaires.

Dans les environs d’Ogden, le chemin de fer du Pacifique était, au mois de mai dernier, en fort mauvais état. Les directeurs de la compagnie promettaient de faire des réformes immédiates, et un grand nombre d’ouvriers étaient occupés aux réparations les plus urgentes ; en attendant, le passage des ponts jetés sur les cañons de Weber et d’Echo n’était point sans péril. Beaucoup d’accidens venaient d’avoir lieu sur cette section : des trains avaient déraillé, des ponts avaient été emportés ; des débris des wagons mis en pièces, et qu’on n’avait pas même pris la peine d’enlever, signalaient encore le long de la route de récens désastres. Quant aux ponts, ils avaient été rétablis ou réparés tant bien que mal ; mais on était fondé à signaler le passage d’un train arrivant sain et sauf à Wasatch comme un événement heureux. Il faut rendre cette justice aux directeurs de l’Union, qu’ils n’avaient point hésité à payer de leurs personnes. L’un ou l’autre d’entre eux se trouvait presque toujours sur la voie, et, debout sur la plate-forme d’un wagon, il examinait attentivement l’effet du passage des trains sur le frôle échafaudage qui servait de pont[1]. Notre voyage se fît dans la compagnie du vice-président Durant, qui haussait les épaules d’un air impatienté lorsqu’il entendait les plaintes ou les critiques des voyageurs, et qui avait toujours l’air de dire : « Je voudrais vous voir à ma place ; je suis certain que vous n’auriez pas aussi bien fait que moi. » Certes la situation des directeurs de la compagnie n’était pas, à l’époque dont je parle, une sinécure. Leur sollicitude n’était pas seulement mise en éveil par des dangers ou des difficultés de toute sorte, ils avaient aussi à se défendre journellement

  1. Comme preuve de l’état défectueux de la voie, je rappellerai que la commission d’examen, présidée par le général Warren, estimait dans son rapport au gouvernement qu’il faudrait dépenser les sommes suivantes pour mettre les ponts et viaducs de la ligne de l’Union dans des conditions satisfaisantes :
    Réparations des fondations de ponts, etc 360,000 fr
    Travaux de maçonnerie 1,400,000
    Réparations générales des ponts 1,433,550
    Construction d’un nouveau pont à Dale-Creek 500,000
    Travaux de remblai au cañon d’Echo et réparations du tunnel à l’entrée des cañons d’Echo et de Weber 783,750
    TOTAL 4,477,300 fr.