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La distance entre Cheyenne et Omaha est de 516 milles. Sur ce long parcours, le paysage est presque toujours dépourvu d’intérêt : on traverse une plaine qui s’étend dans sa triste et aride monotonie à perte de vue d’un côté et de l’autre de la voie. On aperçoit des troupes d’antilopes, ainsi qu’une quantité innombrable de chiens des prairies ; mais ces rencontres intéressent peu, et l’on passe le temps à lire, à fumer, à causer ou à dormir. Nous allons vite pour rattraper les heures perdues entre Wasatch et Cheyenne, et nous notons à peine les noms des nombreuses stations où le train fait halte. Peu à peu, le paysage perd de son uniformité : nous longeons la grande rivière Platte, et l’herbe jaunâtre des prairies prend sensiblement des tons plus vigoureux et plus gais. Çà et là, mais à de très grandes distances, se montrent quelques fermes, et deux ou trois heures de marche nous transportent enfin dans les terres fertiles et cultivées de l’état de Nebraska. Les bâtimens d’exploitation agricole deviennent moins rares ; bientôt des hameaux, des villages apparaissent de plus en plus rapprochés ; les hommes qui se tiennent aux stations ont une tout autre physionomie que ceux que nous avons laissés à Cheyenne, à Laramie, à Wasatch, à Promontory. Ce sont des fermiers, des cultivateurs, des pères de famille, qui semblent jouir d’une certaine aisance. L’expression de contentement et de bien-être que je lis sur beaucoup de figures me frappe vivement. Je crois saluer dans ces nouveau-venus des compatriotes, des fils déshérités de la vieille Europe, de braves travailleurs que la misère a chassés du pays natal, qui ont repris dans le Nebraska leur dur métier de laboureurs, et dont le succès a enfin couronné les patiens efforts dans leur patrie adoptive. Voilà certes des gens qui ont bien gagné leur bonheur.

Les dernières stations, Fremont, Valley, Elkhorn, Papillion, se succèdent rapidement ; un agent de l’Express-Company nous débarrasse de nos bagages et nous délivre des billets d’omnibus pour le meilleur hôtel d’Omaha, et à onze heures du matin nous sortons définitivement des voitures du chemin de fer du Pacifique, dans lesquelles nous avons accompli en l’espace de cent vingt-quatre heures consécutives une traversée de 1,772 milles. Les dames californiennes qui, depuis Sacramento, avaient voyagé avec nous, nous quittèrent à Omaha pour se diriger vers le sud, les unes à Saint-Louis, les autres à la Nouvelle-Orléans. Il me semblait, après six jours passés en leur société, perdre en elles d’anciennes amies, et ce fut avec de sincères regrets que je leur adressai mes adieux. Il est impossible, je crois, si je consulte ma propre expérience, de trouver des compagnons de voyage plus aimables que les jeunes femmes américaines. Pour ma part, je n’en souhaite pas d’autres ; si elles