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aisance et de leur luxe. Tous, jusqu’aux individus chargés du labeur le plus ingrat, sont bien et comfortablement vêtus ; je ne rencontrai pas de mendiant, ni rien qui rappelât l’indigence, si fréquente dans nos cités ; les chevaux attelés aux omnibus, aux charrettes même, avaient une superbe apparence, et les voitures à quatre chevaux étaient au moins aussi nombreuses que celles à deux. Tout semblait dire : Ici l’on ne regarde pas à la dépense parce qu’on a le moyen de gagner tout ce qu’on veut dépenser.

Il est impossible de s’arrêter à Omaha, après avoir traversé les immenses plaines de l’ouest, sans s’étonner que l’émigration ne prenne pas des proportions plus vastes qu’elle n’a fait jusqu’à présent. Si les philanthropes s’avisent jamais d’examiner cette question d’une manière sérieuse, ils y trouveront probablement la solution la plus simple et en même temps la plus honorable du problème de la misère sociale, problème que les palliatifs auxquels on a eu recours n’ont fait qu’ajourner. Au lieu de dépenser des millions à élever dans les capitales de l’Europe des cités ouvrières où le pauvre meurt de faim et de froid, si on consacrait cet argent à faciliter l’établissement de paysans et d’ouvriers dans le far-west des États-Unis, on ferait à la fois du bien à l’Europe en la débarrassant des nécessiteux dont elle est impuissante à soulager les maux, et du bien à l’Amérique, dont la richesse et la puissance se sont toujours accrues en raison directe du chiffre de sa population ; mais des motifs d’étroite politique et de vanité nationale mettent des barrières presque insurmontables à l’exécution d’un plan si humain. Il convient mieux aux gouvernans de laisser les misérables se débattre dans leur impuissance que d’ajouter à la grandeur de l’Amérique, et il est plus flatteur pour l’amour-propre des nations ou des particuliers de fonder avec éclat des hospices en Europe que de semer obscurément des bienfaits au fond du nouveau continent. Et pourtant quelle admirable mission pour un Peabody du présent ou de l’avenir que démarcher vers un but qui lui permettrait de dire un jour : « Il y avait à Londres ou à Paris des milliers de créatures humaines qui demandaient à un salaire insuffisant, au vol même ou au crime, les moyens de soutenir leur problématique existence ; j’ai sauvé autant que j’ai pu de ces malheureux, ils vivent en paix, contenu et libres dans les plaines de l’Amérique, et ils forment au sein de la grande république un nouvel état dont je suis le fondateur. » Avec de l’argent et de la bonne volonté, il ne serait pas difficile de faire réussir une semblable entreprise. Peut-être est-elle trop simple, et cette raison suffit sans douté pour qu’elle n’ait pas de longtemps la moindre chance de succès.

Council-Bluffs fut, en 1846, créée par les mormons, qui venaient