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les mains d’un air provoquant en énonçant cette singularité. En parlant d’un riche industriel, un Illinois me dit : « Il a autant de dollars de revenu qu’il entre de briques dans la construction de telle église. » Après vingt-quatre heures de séjour à Chicago, ce style hyperbolique n’a plus rien qui surprenne. La législation de l’Illinois rend le divorce facile, et on dit que, comparativement aux autres villes de l’Amérique, il règne à Chicago une grande dissolution de mœurs. La grandeur des projets dont on entend parler a souvent quelque chose de comique par l’exagération ; il n’en est pas moins certain que l’on a fait à Chicago des choses vraiment grandioses ; les habitans n’admettent pas l’impossible, ils sont persuadés que Chicago peut tout faire et finira par tout faire ; qu’elle doive être un jour la première cité de l’Amérique et du monde entier, cela ne fait pour eux l’objet d’aucun doute. L’auteur d’un guide très prosaïque de Chicago se livre, de la meilleure foi du monde, au calcul suivant : « en 1860, la ville avait 109,260 habitans, montrant depuis ce dernier recensement un accroissement de 264 pour 100 ; en 1865, la population était de 169,353, en 1865 de 178,000, et en 1866 de 264,836, ce qui faisait de Chicago la quatrième ville des États-Unis. En suivant les mêmes proportions, la population de notre cité sera donc de 500,000 habitans en 1872, de plus de 1 million en 1880, et en 1900 le double de la population actuelle de New-York. »

Puisque je suis en train de citer, j’ajouterai encore quelques lignes du même auteur ; elles sont écrites dans le style particulier. aux habitans du « grenier du monde, » de la « cité des jardins du continent américain. » — « Les Mille et une Nuits ne contiennent rien de plus merveilleux que le développement de Chicago. Rien au monde n’est plus miraculeux, plus étrange, plus incroyable que ce développement. Si par un seul exemple nous voulions prouver la supériorité de l’Amérique sur tous les autres pays du monde, si nous étions appelés à démontrer la puissance de ses institutions, l’accroissement de son commerce, l’énergie irrésistible de son peuple, l’extension de son industrie, son aptitude à se servir de tous les avantages que la nature lui a départis, si nous étions appelés à démontrer cela, nous n’aurions autre chose à faire qu’a citer Chicago, la ville modèle (the standard city) de l’Amérique[1]. »

En effet, cette ville met admirablement en lumière certains côtés de la vie américaine ; elle est comme un abrégé de la grande république. On y trouve toutes les qualités éminentes qui ont fait de l’Amérique la plus grande, la plus puissante et la plus riche nation

  1. Chicago, a stranger’s and tourist’s Guide, publié à Chicago en 1866.