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tantôt au large, les cris des matelots, des bateliers, des portefaix, des cochers, mille bruits confus accompagnant un travail incessant et divers, forment un ensemble étourdissant, et dont l’animation des docks et de la Cité de Londres ne donne qu’une idée imparfaite.

Les femmes de Chicago ne m’ont point paru aussi belles que celles de San-Francisco ; il me semble qu’elles s’habillent avec plus d’éclat et moins de goût que leurs charmantes compatriotes de l’ouest. Les voitures, très nombreuses d’ailleurs et attelées de rapides trotteurs, n’ont pas non plus l’élégance achevée des légers véhicules californiens ; mais les habitans appartiennent bien à la même race d’hommes que j’avais rencontrés dans Montgommery-street : ils marchent du même pas rapide et affairé, et semblent dire aux autres passans : « Rangez-vous et laissez-moi passer, je n’ai pas le temps de marcher autrement que droit devant moi. » Certaines rues, situées dans les quartiers aristocratiques de la ville, sont fort bien entretenues, les larges dalles de pierre qui y servent de trottoirs sont remarquables ; mais au centre des affaires la propreté laisse beaucoup à désirer. L’impression générale que Chicago fit sur mes compagnons de voyage et sur moi-même ne fut point aussi agréable que celle que San-Francisco nous avait laissée, et nous quittâmes la ville sans beaucoup de regrets.

Nous approchions du terme de notre course à travers le continent de l’Amérique du Nord ; il ne nous restait plus qu’à nous rendre de Chicago à New-York. Plusieurs routes nous étaient ouvertes : nous choisîmes celle qui nous permettait de visiter en passant les chutes du Niagara. Nous prîmes à cet effet nos billets au chemin de fer central de Michigan, et, quittant Chicago à cinq heures du soir, nous arrivâmes le lendemain à une heure de l’après-midi à Suspension-Bridge (le pont suspendu), nom donné à la station qui avoisine la grande cataracte. La route est intéressante, les voitures sont des plus commodes, et le trajet s’effectue d’une manière très agréable. On compte de Chicago aux chutes du Niagara 513 milles (826 kilomètres). Les principales stations sont Michigan, Marshall, Jackson, Ann-Arbor, Détroit, Windsor et Hamilton. Entre ces deux dernières s’élèvent, à peu de distance l’une de l’autre, deux petites villes qui portent un nom retentissant : je veux parler de Londres et de Paris. Les habitans du nouveau Londres et du nouveau Paris m’ont eu l’air d’être plus satisfaits de leur sort que ceux de nos vieilles capitales ; l’abondance et la prospérité règnent partout, dans ces parages fortunés. Aussi rien n’est plus fait pour réjouir à la fois le cœur et les yeux de l’étranger ; il s’attable d’un meilleur appétit lorsqu’à l’entrée du buffet il n’est pas assailli par les mains tendues ou les plaintes dolentes des mendians et des affamés.