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la double coupole de Michel-Ange, semblait tout ensemble l’écho de la tradition et la voix de l’église actuelle.

Et cependant ce concile attendu avec tant d’ardeur à Rome, inauguré par des pompes si grandioses, marquait l’une des crises les plus graves qu’ait traversées le catholicisme. Il se réunissait dans des circonstances de diverse nature qui en accroissaient le péril. L’accord des voix le jour de l’ouverture dissimulait mal la profonde division des pensées et des tendances, surtout dans un temps d’irrésistible publicité, où, selon le mot de l’Évangile, les paroles prononcées tout bas sont promptement criées sur les toits. Je ne suis pas prophète, il est fort possible que l’unité triomphe, et qu’il en soit du concile comme de ces orchestres qui commencent par les dissonances les plus bruyantes pour s’unir en définitive dans une harmonie irréprochable ; nous n’en sommes pas toutefois à cet heureux moment qui doit être attendu avec certitude par tous ceux qui, croyant à l’inspiration divine du concile, n’ont pas même le droit d’entretenir des inquiétudes. Les évêques tout à fait rassurés sont rares, on les trouve dans les rangs de la majorité, qui, comptant sur une victoire certaine, est fort disposée à reconnaître d’avance un caractère divin à sa propre opinion ; mais dans les églises de France et d’Allemagne, partout où ne règne pas un fanatisme vulgaire ou une mystique servilité, les plus nobles représentans du catholicisme regardent avec angoisse du côté de Rome. Dans l’excès de leur anxiété, qui tient à un amour éclairé de leur religion, ils n’osent plus guère espérer qu’en la stérilité du concile. S’il n’est pas stérile, c’est-à-dire s’il dogmatise, s’il se prononce sans équivoque sur les questions pendantes, ils savent trop sous quelles influences il rendra ses oracles. Voilà ce qui ressort clairement de leurs réticences et de leurs avertissemens respectueux. Il ne sert de rien de se dissimuler la vérité des choses, elle est ainsi, et pas autrement. En outre l’ordre du jour élaboré pour l’assemblée du Vatican ne touche pas seulement à des questions de dogme capables de diviser profondément les esprits ; on lui réservé encore la tâche dangereuse de formuler une haute philosophie sociale qui règle les relations de l’église et de l’état. C’est une nouvelle source d’alarmes pour ceux qui vivent de la vie moderne, et ne pourraient s’accommoder d’un autre régime.

Sous quelque point de vue qu’on l’envisage, le concile du Vatican est un événement d’une portée considérable dont les conséquences dépasseront peut-être toutes les prévisions. Il n’est pas nécessaire d’en connaître l’issue pour en apprécier la gravité ; je dirai même qu’il vaut mieux l’ignorer pour en saisir toute l’importance. Le résultat final ensevelira dans l’oubli une bonne partie des incidens