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plus en plus la religion à ses fins politiques ; elle s’allège l’esprit des inutiles préoccupations de la science religieuse, pour être tout entière au tu regere imperio, qui est sa devise, comme celle des fiers conquérans dont elle occupe la place. — A la fin du VIIe siècle, le pape Agathon avouait aux Grecs que ce n’était pas dans le clergé romain qu’on pouvait trouver une profonde intelligence des Écritures, « car, disait-il, obligé de gagner sa nourriture par le travail de ses mains, il ne pouvait faire autre chose que conserver avec simplicité la tradition des anciens conciles. » Nous verrons tout à l’heure ce qu’était cette simplicité ; elle demandait certes de grands efforts, un pénible labeur qui méritait une meilleure récompense que le pain quotidien. Aussi l’a-t-elle obtenue par la suprématie ecclésiastique, qui est devenue pour la curie romaine une source non-seulement de gloire, mais encore d’abondance. En légitimant son intrusion dans toutes les affaires religieuses, en multipliant les appels à son tribunal, en se rendant nécessaire pour toutes les nominations épiscopales et pour tous les conflits, elle a véritablement étendu son diocèse aux limites du monde, elle a fait du pouvoir spirituel un glaive dont la pointe se retrouve partout, et dont elle seule tient la poignée. C’est ici qu’éclate l’admirable simplicité dont la louait le pape Agathon dans la conservation des anciennes traditions ; cette simplicité s’est trouvée compatible avec une habileté d’interprétation consommée. Dante se plaignait déjà que Rome fût aussi riche en juristes qu’elle était pauvre en théologiens. L’absolutisme monarchique n’a pas trouvé de scribes aussi dévoués et aussi intrépides à fabriquer les preuves là où elles manquent. C’est en effet le grand procédé des avocats de la suprématie papale au moyen âge ; ils enrichissent leur dossier, quand il est pauvre, de documens inédits jusqu’à eux, et qu’ils enjolivent à leur fantaisie.

La première, la plus célèbre de ces falsifications, est celle qui est attribuée à Isidore et connue sous le nom des fausses décrétales. L’origine en est assez singulière. Elle est l’œuvre de quelques évêques des pays francs de la rive gauche du Rhin qui, voulant s’affranchir de la dépendance de leur métropolitain, trouvèrent leur intérêt à élever très haut l’autorité du pape, à peu près comme les communes appuyèrent sur la royauté leur résistance contre la féodalité. Ces bons évêques ne reculèrent pas devant les mensonges les plus flagrans, et fabriquèrent de toutes pièces des décrets de conciles qui faisaient une part léonine à la papauté. Le pape Nicolas Ier, trouva l’invention admirable et s’en servit ; mais ce fut surtout Grégoire VII qui en tira un grand profit dans sa lutte formidable contre l’empire. Il fit réviser par ses légistes la collection quelque peu informe des évêques à demi barbares ; les décrétales