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camp ultramontain. « On prétend, disait assez singulièrement l’auteur, qu’il y a eu des évêques offusqués de ce que de simples prêtres aient été admis au secret des travaux préparatoires du saint-siège, lorsqu’eux-mêmes les ignoraient. — N’auraient-ils donc pas compris qu’il n’y a ici que l’affaire de chacun son tour, et que le cuisinier n’est pas mieux nourri que son maître parce qu’il voit le dîner qu’il prépare avant le maître, qui ne le voit que lorsqu’il a l’avantage de le manger ? Au concile, ce seront les évêques qui auront les voix, les simples prêtres n’y auront plus de place. » Ce français de cuisine a un sens fort clair ; les congrégations romaines comptaient bien épargner au concile le soin de préparer lui-même ses délibérations : c’était l’affaire du clergé inférieur. Les évêques n’auraient plus qu’à s’asseoir les yeux fermés à la table du festin dogmatique qu’on leur aurait dressée. Cette fois la curie romaine a compté sans ses hôtes. C’est qu’en effet il n’était pas possible que ce grand mouvement des esprits au sein du catholicisme aboutit à un silence universel. Les diverses tendances qui s’étaient heurtées dans les débats préliminaires se sont rencontrées au concile. Une majorité considérable est sans doute restée aux ultramontains, grâce à l’appoint des vicaires apostoliques ; mais on a vu un centre gauche se former sous la direction des évêques allemands. Quelques prélats anglo-américains, parmi lesquels on a surtout remarqué l’évêque de Savannah, les évêques français les plus distingués, et à leur tête M. Dupanloup, en font partie. Un peu plus à gauche siègent les Hongrois ; l’habitude qu’ils ont du latin leur donne un sérieux avantage, car ils le parlent fort bien, et l’archevêque Hainald en a tiré des accens de liberté qui ont fait frémir toute la Propagande. Toutefois le grand orateur de cette fraction est M. Strossmayer, évêque de Surinam. Les portes du concile ont bien quelques fissures ; elles ont laissé passer les paroles brûlantes de l’éloquent Croate contre les règlemens imposés au concile et les pratiques des congrégations romaines.

Il faut reconnaître en effet que tout a été merveilleusement combiné pour étouffer la liberté des discussions. D’abord la disposition de la salle conciliaire est si mauvaise que la plupart des orateurs ne sont pas entendus ; ensuite il n’y a pas, à vrai dire, de débat : il n’y a guère qu’une suite de discours qui ne répondent pas les uns aux autres et qui vont s’ensevelir dans les archives du Vatican. Rien n’est plus gothique que toute cette procédure. Le saint-père a remis à chaque évêque une bulle réglementaire du concile. Cette bulle a soulevé la plus vive opposition, et un évêque hongrois s’est fait rappeler trois fois à l’ordre en protestant contre ces mesures inouïes. Le pape a nommé directement une commission des propositions,