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II

Comme nous voulons examiner en premier lieu quelques animaux de diverses classes, remarquables par des particularités de leur conformation extérieure et en même temps par des aptitudes spéciales, il nous paraît bon d’appeler l’attention sur un mammifère fort étrange : l’aye-aye ou chiromys de Madagascar.

Après avoir parcouru la Chine et les Indes orientales durant les années 1774 à 1780, Sonnerat, un voyageur français, aborde sur la côte occidentale de cette grande terre de Madagascar, si intéressante par ses productions naturelles. Les indigènes lui amènent un animal gros comme un chat et couvert d’une épaisse toison ; ils le voyaient eux-mêmes pour la première fois, et ils exprimaient leur surprise en répétant aye, aye. Sonnerat, confondu d’étonnement aussi bien que les Malgaches, tentait vainement de rattacher ce mammifère à un type connu ; il lui trouvait des rapports de physionomie tout à la fois avec les écureuils, les makis et les singes. Par un singulier caprice, le naturaliste voyageur désigna le curieux animal par l’exclamation qui avait énergiquement frappé ses oreilles, et le nom a été conservé.

L’aye-aye, dont l’activité ne se manifeste que pendant la nuit, a de gros yeux arrondis comme ceux des hiboux et des chats-huans. Il est doux, craintif, dormant tout le jour, la tête cachée entre les jambes et la queue repliée par-dessus. À ces traits s’ajoute une chose plus extraordinaire et tout à fait unique : les deux pieds de devant, qui ressemblent un peu à la main des singes, ont des doigts assez épais et garnis de poils ; un seul de ces doigts, celui du milieu, est nu, tout grêle, et doué de la faculté de se relever et d’agir d’une manière très indépendante des autres ; on croirait à une difformité. C’est ici que se révèle d’une façon saisissante un rapport entre un détail de conformation, des conditions d’existence singulières et un instinct très particulier. Sonnerat eut en vie, pendant deux mois, un mâle et une femelle qu’il nourrissait avec du riz cuit, dont ils se contentaient faute de mieux et sans doute au détriment de leur santé. Ils se servaient pour manger, rapporte notre voyageur, de leurs deux doigts grêles comme les Chinois se servent de baguettes. Cette remarque n’aurait pas jeté beaucoup de lumière sur le véritable usage de ce doigt grêle, si l’on n’avait été éclairé par des renseignemens obtenus des habitans de Madagascar, et depuis peu par les observations de quelques voyageurs. L’aye-aye se nourrit en partie d’insectes, recherchant les plus volumineux et les plus délicats, les larves qui vivent dans les troncs et les branches