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une caverne profonde, la caverne du Mammouth, abondamment pourvue d’eau. Aucune lumière n’y pénètre, c’est l’obscurité complète. Un poisson habite l’eau de la caverne où nécessairement vivent d’autres animaux et des végétaux capables de les nourrir. Ce poisson, blanchâtre, dépourvu d’écaillés, d’une espèce qu’on n’a jamais rencontrée ailleurs, est absolument privé de la vue ; ses yeux, à l’état rudimentaire et cachés sous la peau, sont sans usage possible ; son appareil auditif au contraire est très développé. Le poisson du Kentucky a été appelé l’amblyopsis des cavernes (amblyopsis spelœus), le nom de genre faisant allusion à la cécité de l’animal. L’amblyopsis présente dans l’ensemble de sa conformation des caractères tellement particuliers que les auteurs par lesquels il a été le mieux étudié n’ont pu le rapporter avec certitude à aucune des familles connues de la classe des poissons. Quelques zoologistes, peut-être à juste titre, ont vu en lui le type d’une nouvelle famille. M. Louis Agassiz, juge si autorisé dans la question, voulant garder une extrême réserve, a seulement déclaré qu’il inclinait à le considérer comme une forme aberrante de la famille des cyprinodontes. Le séjour de l’amblyopsis est extraordinaire, ses caractères ne sont pas moins particuliers. Entre tous les poissons, il n’est ni espèce, ni genre, ni famille même, où l’on aperçoive pour lui une véritable parenté. En présence de ces faits, il serait difficile d’admettre que le poisson de la caverne du Mammouth n’a pas été créé pour vivre dans la condition unique où il a été recueilli par les naturalistes.

A une époque encore peu ancienne, un. entomologiste de l’Allemagne se mit à explorer avec soin des grottes de la Carniole, et y découvrit des coléoptères carnassiers aveugles, fort agiles, tout pâles, étiolés, presque transparens, ayant une taille de 7 à 8 millimètres et des proportions pleines d’élégance. Ces insectes ne rappelaient de bien près aucune forme connue ; on les désigna sous le nom d’anophthalmes pour exprimer leur caractère le plus frappant, l’absence des yeux. Longtemps le fait demeura isolé, mais depuis quelques années des recherches actives, entreprises dans les grottes de l’Ariége, des Pyrénées et de différentes parties de l’Europe et de l’Amérique du Nord, ont procuré la découverte de beaucoup d’espèces distinctes appartenant au même genre. La chasse aux anophthalmes ne serait pas du goût de tout le monde. Par bonheur, les entomologistes sont des gens résolus à braver les situations pénibles et à subir bien des désagrémens pour arriver à leur but. On pénètre dans les grottes avec des torchés et l’on avance en glissant sur le sol mouillé, et inégal, en se heurtant aux pierres, en s’écorchant aux aspérités. Près de l’entrée d’une grotte où