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Bermudez de Castro, en faveur duquel le roi François s’en est dessaisi avant qu’il fût lui-même dépouillé de ses états.

On le voit donc, l’apparition de ce tableau est presque une trouvaille, c’est la révélation d’un trésor à peu près perdu. Ajoutons que parmi les œuvres du maître exécutées pendant les dix années de sa première jeunesse, de 1495 à 1505, avant son dernier séjour à Florence, on n’en connaît que trois d’une importance égale à celle-ci pour la richesse de la composition, le nombre des figures, l’ampleur de l’ordonnance, et l’une d’elles est une fresque, la grande page de San-Severo de Pérouse, à jamais fixée à sa muraille ; les deux autres sont deux tableaux, mais que ni l’un ni l’autre on ne peut acquérir, le Couronnement de la Vierge du Vatican et le Sposalizio de la Brera à Milan. C’est donc une chance unique qui s’offre à nous de combler la seule lacune un peu notable qu’on puisse regretter dans l’admirable série de nos Raphaël du Louvre. Si cependant ce tableau n’avait d’autre mérite que la date et la dimension, quelque intérêt chronologique qu’il y eût à le posséder, nous n’insisterions pas, surtout en face du prix qu’on en demande ; mais en même temps qu’il est de premier ordre comme spécimen d’une époque charmante dans cette vie dont chaque jour, chaque heure est un événement, il l’est aussi, et plus peut-être encore que les trois autres, comme témoignage du travail de transformation qui s’opérait de 1504 à 1505 dans ce merveilleux esprit, travail qui s’y révèle par la simultanéité des styles les plus divers. C’est là un caractère tellement prononcé dans ce tableau que M. Passavant s’est cru autorisé à soutenir que le maître ne l’avait pas exécuté tout d’une haleine, qu’il l’avait laissé là pendant près d’une année, pendant son voyage à Urbin et son premier séjour à Florence, pour le reprendre et le terminer seulement après son retour à Pérouse vers la fin de 1505. « Certaines figures, dit-il, principalement la sainte Vierge et le saint Paul, rappellent le Couronnement de la Vierge (du Vatican), les tons vigoureux de quelques draperies font penser au Sposalizio, tandis que sainte Catherine et sainte Dorothée laissent voir le nouveau style acquis à Florence. » Nous ne garantissons pas les assertions de M. Passavant, mais rien n’est plus vrai que cette diversité de style, d’intention, d’exécution même, sans pour cela qu’il en résulte une disparate trop accusée et non sans un surcroît d’agrément et de variété dans l’effet général du tableau.

Nous aurions dû déjà en décrire le sujet. C’est une vierge glorieuse, c’est-à-dire assise sur un trône richement décoré et surmonté d’un dais, conformément aux traditions des écoles primitives et en particulier des maîtres de l’Ombrie, mais avec une ampleur architecturale qui est déjà presque une innovation. Sur les marches du trône, le petit saint Jean debout se dirige vers l’enfant Jésus qui lui donne sa bénédiction. Le geste et le regard de l’enfant sont d’une douceur indicible ; il est vêtu,