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caractère national, longtemps refoulé dans les littératures du nord, s’y accuse toujours plus vigoureusement et en fait le charme. Nous ne verrions pas au juste la place qu’y occupe Biœrnson, si nous ne donnions pas un coup d’œil rapide à ce développement intellectuel.

Grâce à sa situation, le Danemark fut de tout temps en relation avec l’Allemagne. Dès le XVIIIe siècle et malgré l’invasion du goût français, il subit largement l’influence de ses voisins. Cela s’explique par le séjour prolongé à Copenhague d’hommes comme Klopstock, Basedow, Schlegel, mieux encore par une certaine affinité d’esprit. Le Danois est en général d’un caractère doux et contemplatif, et se rapproche plutôt de l’Allemand du sud que du Prussien raisonneur. Par ce contact incessant, la littérature danoise moderne se développa plus rapidement que ses rivales du nord ; mais de là lui vient aussi son manque de couleurs fortes et de haute originalité. Son plus grand représentant, Œhlenschlæger, a beau faire, il est moitié Allemand, moitié Danois ; son lyrisme et ses drames se distinguent plutôt par un éclectisme élégant que par la verve créatrice. Lorsqu’il traite des sujets Scandinaves comme dans les Dieux du nord, il rappelle tour à tour Milton et Klopstock beaucoup plus que la poésie barbare et grandiose dont il essaie de s’inspirer. Lisez, je ne dis pas même l’Edda, mais le premier venu de ces vieux chants de bataille (kämpewiser) ou de ces ballades guerrières et romanesques qui abondent dans la vieille poésie populaire des Danois, puis comparez ces scènes tragiques et vivantes dans leur énergique concision avec la pâle fantasmagorie du poète moderne. Là-bas tout vit, les forêts et les mers, les oiseaux parlent, l’homme a des passions fortes et subites, on aime, on séduit, on tue ; les coups d’épée tombent pesans et terribles : il suffit de deux vers comme ceux-ci :

Il jette sur elle son manteau bleu,
La lance sur son cheval gris,


pour nous entraîner au plus vif du drame. Chez Œhlenschlæger, il y a des idées élevées, des descriptions savantes ; mais l’ensemble reste froid et sans ferme contour. N’importe, cet homme d’une culture universelle, très versé d’ailleurs dans les antiquités Scandinaves, eut le mérite d’imprimer une direction nouvelle à la poésie de son pays. Esprit moins étendu, mais âme plus sensible, enfantine et poétique, Andersen devint une gloire nationale par ses contes, ses romans et ses chansons. Gruntwig, Aarestrupp, Winther, Hertz, ont marché dans des voies analogues. Il y a donc aujourd’hui une littérature danoise. Elle abonde en peintures fraîches et gracieuses,