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soulèvent sa poitrine par effluves. Que toutes ces voix résonnent étrangement dans son cœur ! et d’où vient cette voix qui tressaille en lui-même ? Il voudrait chanter, il ne peut :


« Le jeune pâtre au bois s’en va des jours entiers, — des jours entiers. — Il y avait entendu un si doux chant, — un si doux chant.

« L’enfant coupe un roseau et s’en taille une flûte, — une flûte amoureuse ; — il l’essaie et veut voir si la voix y repose, — la voix mélodieuse.

« Et la voix murmure au fin fond du roseau : — Me voici ! — Mais à peine y est-elle qu’aussitôt elle fuit, — s’enfuit comme un soupir.

« Souvent dans son sommeil doucement elle vient, — doucement le hanter, — et passe sur son front comme flamme rapide, — comme flamme d’amour.

« Il s’éveille en sursaut, il veut la saisir, — la saisir au passage. — Mais elle n’est plus là, immobile elle plane — dans la pâle nuit.

« Seigneur, reprends-moi près de toi, — oui, près de toi, — car la voix magique a enveloppé mes sens, — et mon âme tout à fait.

« Le Seigneur répond : « La voix est ton amie, — ta douce amie ! — si même elle ne reste jamais à ton chevet, — jamais plus qu’une heure ! »

« Ah ! je sais plus d’une superbe mélodie, — oui, superbe mélodie ! — Mais celle-là en vain je la cherche sans cesse, — je la cherche toujours ! »


On surprend ici la voix qui s’écoute, l’obscur balbutiement, la naissance mystérieuse du chant au cœur de l’homme. C’est encore l’inflexion naïve, l’accent tendre du lyrisme populaire, vraie musique primitive de l’âme, née sous tous les climats, inépuisable, éternellement variée et toujours touchante, qu’elle s’essaie sur la syrinx ou la lyre, sur la harpe ou la flûte, ou qu’elle s’exhale comme un soupir mélodieux d’une poitrine agreste. La pensée individuelle n’a pas encore pris son vol, mais le poète enveloppé dans la nature vibre et s’éveille à son souffle.

A mesure qu’il s’enfonce dans ses montagnes, elles se révèlent à lui sous des aspects plus étranges et lui disent des choses nouvelles. Les divinités elles-mêmes se montrent rarement, elles craignent peut-être l’enfant du presbytère, elles se contentent d’appeler ou de menacer de loin. Voici une ballade où l’hiver norvégien découvre sa face redoutable, et où gronde sourdement le génie invisible du gouffre :


« Le petit Niels Finn devait sortir, — mais il trébuche dans son patin de neige[1] — Gare à toi ! dit la voix de l’abîme.

  1. Les Norvégiens ont des sortes de sabots pour patiner sur la neige.