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frappe aujourd’hui 1 sur 5 ; c’est demander plus qu’on ne pourra jamais obtenir ; c’est juger la question avec le cœur et oublier la triste réalité des faits, les douloureux enseignemens de la science. L’égalité devant la mort n’existe pas plus que l’égalité devant l’intelligence et la fortune ; qui oserait espérer voir, même dans une société idéale, la majorité des hommes arriver à la longévité du centenaire ? Des causes multiples, dont les principales ne pourraient disparaître que si l’on créait un nouveau monde social tout différent du nôtre, maintiennent fatalement la mortalité infantile à un degré assez élevé. Les plus importantes sont la faiblesse native, le défaut de soins, l’insuffisance ou la mauvaise qualité de la nourriture.

Les différences si grandes que nous remarquons dans la taille, la constitution, le tempérament, la santé des hommes arrivés à l’âge adulte, différences qui sont dans une assez large mesure le résultat des conditions sociales au milieu desquelles ils ont vécu dans leur jeunesse, nous les trouvons chez l’enfant au moment de la naissance. L’un est vigoureux, bien musclé, ses petits membres potelés annoncent déjà la force, ses joues roses, pleines, rebondies, respirent la santé ; l’autre est faible, chétif, ses membres sont grêles, sa figure ridée ressemble à celle d’un vieillard, son être tout entier respire la misère. Il semble né pour mourir et trop souvent il meurt, alors que, dans le même milieu, dans les mêmes conditions extérieures défavorables, le premier enfant, bien qu’affaibli, eût résisté et fût sorti victorieux de la lutte. L’un est l’enfant d’une femme riche de fortune et de santé, l’autre est l’enfant d’une malheureuse épuisée par le chagrin, par les privations et souvent par les maladies. Un fait important rendra évidente cette influence de l’état moral et physique de la mère sur la résistance vitale du nouveau-né dès son premier jour.

Dans cette période de neuf mois qui précède la naissance, l’enfant légitime et l’enfant naturel se trouvent en général dans des conditions bien différentes. Aux douleurs morales — qu’éprouve la fille-mère lorsqu’elle acquiert la certitude de sa maternité — se joignent presque toujours les privations et la misère. Si elle est ouvrière, trop souvent le travail lui est refusé ; si elle est domestique, on la chasse ; ses ressources s’épuisent, sa santé s’altère, et elle trouve à peine de quoi se nourrir, alors qu’elle doit, aux dépens d’elle-même, nourrir l’enfant qu’elle porte dans son sein. La femme mariée, loin de chercher à cacher sa grossesse par des artifices de toilette nuisibles à l’enfant, prend de bonne heure les précautions qu’exige son état. La fatigue lui est épargnée, pour elle on redouble de soins et d’attentions ; aussi devons-nous nous attendre à rencontrer parmi les naissances légitimes un moins grand nombre d’enfans