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Pour moi, j’avoue que je le pardonne très aisément. Le mauvais goût peut seul bien rendre l’horreur de la mort, qui est elle-même une chose d’un caractère détestable, et qui n’éveille que des images offensantes aux sens, menaçantes à l’âme. Par exemple, un certain cardinal Rasponi s’est fait ensevelir sous une niche profonde creusée dans une des murailles de la basilique ; dans cette niche, on voit la Mort ou le Temps (je ne sais trop lequel des deux) avec sa faux, des chaînes et d’autres emblèmes aussi peu récréatifs. Cela est franchement exécrable ; eh bien ! je connais peu de choses qui donnent mieux le sentiment de cette geôle humide dans laquelle la mort nous enferme pour l’éternité, rien qui dise plus éloquemment : « Qu’est-ce que l’homme ? — Simplement le prisonnier du trépas. »

Les très belles mosaïques de la voûte de la tribune sont l’œuvre de fra Jacopo de Turrita, et datent de la fin du XIIIe siècle. Elles représentent la Vierge entourée des principaux apôtres. La disposition naïve des personnages de cette mosaïque est digne de remarque ; aux deux côtés de la Vierge, l’artiste a placé saint François et saint Dominique, plus le pape Nicolas IV en prière. Or les apôtres et la Vierge sont de taille colossale, tandis que les saints ont à peine la moitié de leur stature, et que le pape est encore plus petit que les saints. C’est afin de conserver la hiérarchie divine que le pieux artiste a commis cette respectueuse gaucherie ; mais on voit combien on est loin ici de cette croyance qui chez certains peuples catholiques a fait de saint François l’émule et l’égal du Christ lui-même. La présence du pape Nicolas IV dans cette mosaïque nous a particulièrement intéressé. C’est un pontife dont le nom est peu connu hors d’Italie, mais qui pour les Romains a eu une importance fort singulière. Si pendant de si longs siècles, si aujourd’hui encore on n’a pas pu, on ne peut pas voyager en pleine sécurité dans la campagne romaine, c’est à lui que nous le devons par suite d’un enchaînement fort bizarre de circonstances. Ce pontife ne régna que quatre années, pendant lesquelles son seul soin fut d’enrichir la maison des Colonna ; il fut l’origine véritable de la puissance de cette famille, qui fut de son côté l’origine véritable du brigandage romain. En effet, comme par leurs possessions ils tenaient toute la campagne depuis Rome jusqu’au-dessus de Palestrina, ils transformèrent leurs paysans en défenseurs armés de leurs intérêts, de leurs passions et de leurs rancunes. Laboureurs le jour, les paysans devenaient soldats d’aventure le soir et la nuit. Cette double existence dura plusieurs siècles, au bout desquels les habitudes, étant invétérées, survécurent aux circonstances qui leur avaient donné naissance. Dans cette existence à demi militaire, les paysans avaient contracté les vices et les vertus qu’engendre la vie du soldat, l’amour du gain