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monde, et cependant il n’a détruit le passé qu’en se l’assimilant, et c’est par l’intelligence des symboles du paganisme que les plus éclairés, sinon les meilleurs d’entre eux, arrivèrent à l’intelligence des symboles du culte nouveau.

Un autre débris bien curieux de l’antiquité romaine est appuyé contre un des flancs du portique, c’est un énorme mascaron en marbre qui a perdu depuis longtemps une partie de son nez ; mais en dépit de cette mutilation cette figure conserve encore un superbe caractère. Les cheveux sont hérissés, les yeux grands ouverts, la bouche béante ; il y a dans sa physionomie quelque chose d’effaré qui la fait ressembler au visage d’un géant saisi d’un étonnement burlesque. Quelques érudits veulent voir dans cette figure une représentation du dieu Pan ; mais comme ce mascaron servait à fermer la bouche d’un cloaque, ne se pourrait-il pas que cette figure hérissée comme Apollon, d’ailleurs de belle et assez juvénile apparence, fût celle du soleil, qui dessèche toutes les fanges et purifie tous les cloaques par son action bienfaisante ? À cette figure se rattache une tradition populaire : au moyen âge, jeunes Romains et jeunes Romaines amenaient là les préférés de leurs cœurs et leur faisaient mettre la main dans la bouche béante. S’ils ne pouvaient la retirer qu’avec difficulté, c’est qu’ils avaient été infidèles à leurs sermens. De là le nom de Bocca de la Verità donné à ce bâilleur de pierre. Ce mascaron remplissait donc autrefois le même office que remplit dans Arioste la coupe enchantée où Renaud refuse de boire ; mais, hélas ! tout dégénère : de cet office si poétique il est tombé à l’emploi de Croquemitaine, et il n’y a plus que les mères et les nourrices qui conduisent leurs marmots à cet oracle. La décadence de ce mascaron serait touchante, s’il n’y avait pas à Rome bien d’autres victimes du temps, entre autres ce pauvre Pasquino que l’on voit à l’angle du palais Braschi, et que je ne pouvais jamais regarder sans commisération. Qui croirait, à le voir ainsi mutilé, sali par la pluie, noirci par le temps, que ce torse sans bras, sans jambes, à peu près sans visage, a été partie d’une statue de Ménélas ? Et où sont les gaîtés satiriques d’autrefois, quand il donnait si bien la réplique à son confrère Marforio ? Alors il pouvait ressembler à un(effronté mendiant aux joyeux propos et au franc-parler, tandis qu’aujourd’hui il a l’air d’un cul-de-jatte, survivant de la cour des miracles et des maladreries du moyen âge. Bientôt même le lieu qu’il occupe ne lui conviendra plus : sa présence ne sera-t-elle pas une offense aux yeux dans le voisinage de cette superbe place Navone, si pittoresque, si romaine, qu’on est en train d’habiller à la moderne ? Revenons à Santa-Maria-in-Cosmedin.

Les autres curiosités de l’église sont d’origine chrétienne. Sur un