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des murs du chœur, le sacristain vous montrera un reste de peinture de l’église primitive, ce débris date du IIIe siècle de notre ère. Les ambones, ou, autrement dit, les deux chaires en marbre des premiers siècles, élevées au-dessus du sol de quelques marches seulement, placées aux deux côtés de la nef, marquent le milieu de l’église. Tout au fond, par derrière le maître-autel, une chaise de marbre est adossée au mur ; la tradition veut que ce soit celle de saint Augustin. Enfin, au-dessus de cette chaise, se présente comme cachée aux regards du vulgaire, masquée qu’elle est par l’autel, la merveille de l’église, une Vierge byzantine qui pour nous est au nombre des choses les plus importantes qu’il y ait à Rome, où il s’en voit tant de belles.

Selon la coutume, on n’a pas manqué d’attribuer cette Vierge à saint Luc, mais une tradition beaucoup plus croyable veut qu’elle ait été apportée d’Orient en Italie au VIIIe siècle, alors que régnait à Constantinople Léon l’Isaurien, et que triomphait avec lui la secte des iconoclastes, triomphe qui eut des résultats nombreux et importans dont deux au moins méritent d’être signalés. Le premier et le plus grand, c’est qu’il fit faire un pas énorme à la puissance politique de la papauté, en l’affranchissant définitivement et pour jamais de ces liens de déférence qui depuis la chute de l’empire en Occident avaient attaché l’église de Rome à la cour de Byzance. Après la chute de l’empire, la papauté était devenue l’autorité la plus considérable et la plus certaine de Rome ; mais cette autorité était toute morale, et les Romains d’alors, la papauté elle-même, s’étaient habitués à regarder la lointaine cour de Constantinople comme le centre de leurs intérêts politiques, le lieu de dépôt de leurs traditions, rompues en Italie, le siège de leur véritable gouvernement ; après la chute du royaume de Théodoric, l’établissement de l’exarchat avait donné à ces sentimens une demi-réalité. Un jour une secte longtemps obscure, sorte d’islamisme chrétien ou de puritanisme oriental, protégée par un empereur originaire de la farouche Isaurie, étendit sur, l’empire sa propagande dévastatrice, et alla partout brisant les images chères au peuple. Ce fut une rage sans merci, car cette querelle, qui peut faire hausser les épaules à un sceptique de nos jours, avait les racines les plus profondes qui se puissent concevoir ; les iconoclastes étaient parvenus à établir la guerre civile dans l’âme grecque elle-même en mettant aux prises les deux parties dont elle se compose. En effet, née de cette subtilité grecque traditionnelle qui autrefois avait produit les sophistes et enfanté la métaphysique la plus déliée, elle s’attaquait à cet amour non moins traditionnel de la Grèce pour la beauté et la reproduction par les formes extérieures des rêves de l’âme. Non moins sensibles que les