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caractère tranché, se trahissent d’ailleurs dans la vie des Israélites autant pour le moins que dans leurs œuvres d’esprit. La raison, qui dicte généralement les mariages juifs, l’esprit de famille, qui vient consacrer ces choix de la raison, — la tendresse des parens pour les enfans, le respect et l’amour des enfans pour leurs parens, — sont communs aux Juifs et aux Français. La noble habitude de s’entr’aider, si étrangère aux races germaniques, qui laissent à l’individu le soin de se tirer d’affaire et de se conquérir une place au soleil, la prudence et le goût de l’épargne, le désir de paraître, la parole facile, mille autres qualités qu’on trouverait à la réflexion, ne se rencontrent nulle part au même degré que chez le Français et l’Israélite. Ce n’est point l’effet du hasard si Henri Heine et Meyerbeer se sont si vite acclimatés de ce côté-ci du Rhin, et ont été en Allemagne comme des représentans intellectuels de la France.

Riches et en possession de la culture intellectuelle du temps, les Juifs de Berlin essayèrent de se rapprocher de la société, et comme ils rencontraient encore dans la bourgeoisie des préjugés que ne partageait plus l’aristocratie, élevée dans les idées des encyclopédistes français et philosophant comme eux, c’est vers la haute noblesse qu’ils tournèrent leurs regards. Elle ne se fit pas prier. Les jeunes gens, qui ne trouvaient dans la maison paternelle que le cérémonial et l’ennui qu’engendre infailliblement la vie des femmes aisées quand elles n’ont point cultivé leur esprit et qu’elles se refusent à combler ce vide par un peu de coquetterie, — les jeunes gens se réfugiaient volontiers auprès des belles et aimables Juives dont les riches parens avaient singulièrement soigné l’éducation intellectuelle. Ils y trouvaient tout ce qui pouvait les retenir : un grand luxe inconnu à la maison protestante, de l’élégance, beaucoup d’esprit naturel, et surtout une grande liberté, car les hôtes ne marchandaient pas trop leur indulgence à qui consentait à oublier leur origine. La noblesse de ce temps, — celle de Prusse aussi bien que celle de France, — était d’ailleurs toute pénétrée et comme enivrée des idées libérales qui étaient alors dans l’air, et les hommes de naissance n’eussent eu garde de déserter ces salons juifs où ils rencontraient non-seulement des femmes jeunes, jolies et d’un esprit moderne, mais encore une absence totale de préjugés, chose bien naturelle chez des émancipés d’hier, sans passé ni tradition dans une société dont ils ignoraient les lois et les principes. La noblesse d’ailleurs, si elle conservait encore quelque prévention, se sentait trop distante de ce monde parvenu pour en craindre le contact comme eût pu faire la bourgeoisie, et peu à peu tout ce qu’il y avait de distingué à Berlin y fut entraîné : après les diplomates, qui rompirent la glace, les gentilshommes de la Marche, enfin la