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et en porte les dehors au point de faire illusion à la plupart des hommes. « Sa vie a effleuré toutes les grandes individualités, disait le même observateur, mais elle n’a jamais pu s’en approprier que ce qu’il y a de moins important : la connaissance extérieure. Celle-là, il est vrai, elle a su la retenir dans toutes ses amitiés avec une grande persévérance et une rare constance. » Autrement dit, et pour me servir d’une expression familière, mais énergique, Henriette Herz ne fut jamais quelqu’un. Comment une personne belle, il est vrai, charitable et intelligente, mais aussi absolument dépourvue d’originalité et de personnalité, a-t-elle pu si longtemps imposer aux esprits supérieurs qui se rassemblaient autour d’elle ? On le devine quand on songe qu’elle n’exerçait guère son empire que sur la jeunesse. Le ton avec lequel ses amis, même Schleiermacher et Dorothée Schlegel, parlèrent d’elle quand ils furent arrivés à l’âge où l’on ne prise plus guère que le naturel, la vérité et l’individualité, prouve que les illusions ne durèrent pas toujours. Au moment dont nous parlons, elles étaient encore entières.

On comprend que les étrangers qui passaient par Berlin cherchèrent à voir « la belle Henriette, qui recevait tout le monde et que les originaux si nombreux de ce temps n’effrayaient pas plus que les apôtres non moins nombreux. L’ami de Mme de Staël, le bizarre poète de Luther, Zacharias Werner, rêveur et viveur à la fois, ce qui n’est point aussi incompatible qu’on pourrait le penser, se montra souvent chez elle pendant son séjour à Berlin. « Ses sourcils longs et touffus, ses yeux brillans, ses traits grossiers, ses cheveux en désordre et sa peau brune, qui semblait crier après le rasoir, » le signalaient aux curieux. Il venait en ce moment de divorcer pour la troisième, mais non pour la dernière fois, et il était encore tout plongé dans le péché, d’où il devait sortir avec tant de pieux éclat bientôt après. A côté du futur, mystique, le capucin défroqué Fessler, l’auteur de Marc-Aurèle, tour à tour moine et spinoziste, précepteur et franc-maçon, professeur polonais et dramaturge allemand, auteur de divers romans en action qui étaient connus de tout le monde, converti au protestantisme, marié sans l’être, puis divorcé et remarié, fondateur de l’ordre des évergètes, et finalement favori du favori Bischofswerder. Jean-Paul et Schiller eux-mêmes, lors de leur séjour dans la capitale prussienne, aimaient à fréquenter la maison Herz, où ils étaient sûrs de trouver tout Berlin. Jean-Paul, naïvement logé chez Sophie Bernhard, protectrice en titre des poètes, femme intelligente et sensible, sinon jolie, Jean-Paul, qui fut la coqueluche de toutes les dames de Berlin, établissait le soir son quartier-général chez Mme Herz.

Il est difficile de se faire une idée de l’enthousiasme