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l’éducation piétiste qu’ils avaient reçue parmi les frères moraves. Elle s’inquiétait, comme de juste, du salut de son frère dans la nouvelle Babylone, et surtout de son intimité avec une Israélite. Il lui avait écrit lui-même :


« Je vis surtout chez Mme Herz. Elle habite pendant l’été une charmante maisonnette dans le Thiergarten, où elle voit peu de monde, et où par conséquent je puis bien jouir de sa société. Je passe au moins une journée entière par semaine chez elle. Je ne pourrais faire cela qu’avec bien peu de gens ; mais cette journée-là s’écoule pour moi bien agréablement, en alternant sans cesse les occupations et les distractions. Elle m’a enseigné l’italien ou plutôt elle me l’enseigne encore ; nous lisons Shakspeare ensemble, nous nous occupons de physique, je lui communique un peu de ma science naturelle ; nous lisons à bâtons rompus quelques pages d’un bon livre allemand ; entre temps, nous nous promenons dans les belles heures du jour, causant bien du fond du cœur et sur les choses les plus importantes. C’est ainsi que nous avons fait depuis les premiers jours du printemps, et personne ne nous a dérangés. Herz m’aime et m’estime, si différens que nous soyons l’un de l’autre. »


La sœur de Schleiermacher, je l’ai dit, conçut de vives inquiétudes de cette liaison, et il eut toutes les peines du monde à la rassurer.


« Tu me croiras certainement sur ma simple affirmation que, dans mes rapports avec les femmes, il n’y a pas la moindre chose qu’on puisse mal interpréter avec une apparence de raison seulement. Dans tout ce que j’en ai dit, tu n’auras pas remarqué trace de passion, et je t’assure que je suis bien éloigné de tout accès de ce genre. Le temps que je passe avec elles n’est nullement consacré au seul plaisir ; il contribue directement à augmenter mes connaissances, à inciter mon esprit, et je leur suis à mon tour utile en ce sens. Le fait que Mme Herz est Juive n’a pas paru tout d’abord produire une impression si défavorable sur toi, et je te croyais convaincue comme moi que lorsqu’il s’agit d’amitié, lorsqu’on a trouvé une âme organisée à l’instar de la nôtre, on peut et on doit faire abstraction de ces circonstances extérieures. »


Rien ne peint mieux l’époque, la nature allemande et l’individualité de Schleiermacher que ces apologies sans cesse répétées et ce mélange de naïveté et de pédantisme, de sentiment et de raisonnement, de liberté et de réserve. Toutes ces protestations cependant ne suffisent pas pour rassurer la sœur, et le jeune pasteur est obligé d’insister à tout moment pour la convaincre.


« Il est singulier que tu ne puisses pas, sans nous avoir vus ensemble,