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conjugale allemande, laquelle doit paraître bien extravagante en France : c’est qu’elle n’appartient point exclusivement, comme voudrait le faire croire Henriette Herz, à l’époque de sa jeunesse ; elle est restée en réalité la loi de la grande majorité des classes cultivées en Allemagne. Si l’abus d’autrefois a tenu en grande partie à l’idéalisme du temps, qui méconnaissait tous les droits de la réalité, de la convention et de la société, s’il a tenu à une certaine dissolution morale s’étalant avec une sincérité et une naïveté tout allemandes, le principe en lui-même tenait et tient encore au fond de la nature germanique, à sa façon de voir et de sentir en morale. « Les Allemands se croient plus engagés par les affections que par les devoirs, » a dit Mme de Staël, et dans ce mot elle a résumé toute leur morale. Toute ? Je me trompe. Il y a pour l’Allemand une autre loi qu’il a toujours respectée à l’égal de l’affection, c’est la vérité. Le mensonge, l’imposture, sont absolument inconnus dans les relations libres dont nous avons vu tant d’exemples. Tromper un époux était considéré comme le plus grand des crimes ; rarement la maison conjugale était le théâtre de l’adultère. On se séparait à ciel ouvert et après une explication, la plupart du temps sans haine ni amertume ; très souvent, comme cela fut le cas chez Auguste-Guillaume Schlegel, qui céda sa femme à Schelling, le premier mari restait intimement lié avec le second. Quand Éléonore de Grunow, — une femme, même une Allemande, a toujours le droit de nourrir moins de scrupules de véracité qu’un homme, — quand Mme de Grunow demande à Schleiermacher de ne plus lui écrire à l’adresse de son mari, il lui répond qu’il ne peut s’y résoudre. « Vous savez combien j’aimais à vous voir seule alors que nous nous voyions également en public, et combien cela me semblait faire partie essentielle de notre amitié ; mais vous vous souvenez certainement aussi qu’il avait été formellement convenu entre nous que, si jamais notre commerce public devait être interrompu, nous ne nous verrions jamais en cachette. Il me semble qu’il doit en être exactement de même pour la correspondance, et je crains que ces lignes ne soient les dernières que vous voyiez de moi d’ici à longtemps. » Il est toujours délicat de juger les mœurs d’un peuple ou d’un temps d’après des principes fixes et immuables. — Plutôt que de prononcer, sur des faits et des idées qui nous paraissent étranges, une de ces condamnations sans appel que les esprits absolus aiment à lancer, il faudrait essayer de comprendre. On trouverait certainement dans les conditions de temps plus d’une circonstance atténuante. En remontant jusqu’aux principes des mœurs, on rencontrerait peut-être même, au lieu de l’instinct vulgaire qu’on serait tenté d’y voir, une vertu élevée comme l’est dans la nature allemande le respect de l’affection et de la vérité.


K. HILLEBRAND.