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la mise en scène de Guido et Ginevra n’a produit qu’un effet médiocre, et cet échec contre lequel n’ont prévalu ni la musique d’Halévy ni la vaillance de Mlle Krauss, ce fiasco n’aura servi qu’à prouver une fois de plus que le Théâtre-italien m’a rien à prétendre en dehors de son genre tout concertant, et que sa destinée est maintenant de vivre et de mourir sous l’invocation d’Adelina Patti ; mais, comme toute chose en ce monde a son résultat direct ou indirect, il s’est trouvé que cette reprise de Guido et Ginevra, nulle pour les intérêts du Théâtre-Italien, n’aura pas été sans honneur pour la mémoire d’Halévy. En présence de ces fragmens pleins de vigueur et de beauté, chapiteaux et fûts de colonnes d’un monument démantelé, les amis de l’école française se sont demandé si l’homme qui produisit jadis de telles œuvres avait bien aujourd’hui sur la scène de l’Opéra la place qu’il mérite d’y occuper. Tout n’était certes point à conserver dans le répertoire d’Halévy ; cependant, même en faisant à l’oubli la plus large part, même en laissant dormir du sommeil éternel le Juif errant, Guido et Ginevra, la Magicienne, il y aurait encore dans ce passé de quoi intéresser notre présent si éblouissant en merveilles, si gonflé de germes féconds ! Pourquoi laisse-t-on, par exemple, Charles VI émigrer au Théâtre-Lyrique ? pourquoi la Reine de Chypre a-t-elle cessé de figurer sur l’affiche ? — Pure question de matériel, réplique l’administration ; les décors en ont péri dans l’incendie des Menus-Plaisirs. Raison de plus alors pour les refaire. Un théâtre comme l’Opéra ne compte pas avec de pareils détails. C’est parce que nous avons à cœur la gloire de Meyerbeer, parce que nous aimons et admirons ses chefs-d’œuvre, que nous insistons pour qu’il ne soit pas seul à profiter du bénéfice de ces reprises. Assez longtemps de son vivant le maître fut l’objet d’indignes calomnies, il ne faut pas qu’après sa mort les méchans viennent reprocher à sa grande ombre d’agir comme l’ombre du mancenillier, et qu’après avoir lu dans son testament tant de choses qu’il n’y a point mises, la bêtise humaine s’imagine qu’il existe on ne sait quel mystérieux et déshonnête codicille faisant peser un interdit posthume sur les ouvrages d’Halévy.

L’inexorable loi du théâtre d’aujourd’hui, nous le savons, c’est la recette. Devant une telle puissance, il n’y a qu’à s’incliner ; mais si nous admettons qu’en un temps comme le nôtre la question d’argent doive aussi être prise en considération, les intérêts de l’art et sa vraie dignité ne cesseront jamais de nous préoccuper. Seulement nous voulons ce qui est possible, transigeant avec les difficultés qu’il ne nous est pas donné de pouvoir abattre, tâchant de nous garder également et de l’indifférence et des théories creuses. Or rien n’empêche un grand théâtre qui se respecte de ne pas laisser tomber en déshérence le nom d’un maître. Ce que nous disons pour l’Opéra au sujet d’Halévy, nous pourrions tout aussi bien le dire pour la Comédie-Française à propos de Casimir Delavigne. Remarquez que nous n’exprimons point en ce moment le