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nateurs sous le sceau d’une loi fondamentale qui ne pourra plus être changée que par un plébiscite ? Est-il nécessaire aussi de mettre dans la constitution qu’il y aura un député par groupe de trente-cinq mille électeurs, qu’on appliquera tel ou tel mode de scrutin ? Remarquez bien que sur ce dernier point la constitution se trouvera trancher une question qui serait plus naturellement du domaine d’une loi électorale, et que le corps législatif, qui est le principal intéressé, n’aura pas même à examiner. Pourquoi ne pas revoir ces anomalies et ne pas compléter le travail d’épuration ou de rectification qui a été commencé ? On veut faire aujourd’hui une œuvre définitive ; le meilleur moyen de lui donner ce caractère, c’est de la faire simple et nette, de réaliser dans toute sa vérité ce programme qui consiste à ne placer que les deux ou trois choses essentielles sous la garantie de l’inviolabilité, en laissant pleine et entière liberté sur tout le reste.

Nous entrons, et pour longtemps sans doute, dans une voie laborieuse où chaque jour aura sa peine, c’est-à-dire ses difficultés nouvelles, nées des questions qui se succèdent et s’imposent, des incidens qui éclatent à l’improviste et agitent un instant l’opinion. Les incidens, ils ont à coup sûr leur gravité, ne fût-ce que parce qu’ils ressemblent presque toujours à un défi jeté par l’imprévu à la fermeté et à la sagesse des hommes ; ils peuvent être embarrassans, surtout lorsqu’ils viennent à la mauvaise heure comme cette tragique affaire d’Auteuil, dont le dernier mot a été dit par la haute cour de justice réunie à Tours ; mais enfin les incidens passent comme passe tout ce qui tient à une surexcitation accidentelle et violente. Il y a des questions qui sont d’un ordre bien autrement sérieux, qui prennent un caractère de permanence redoutable parce qu’elles sont inhérentes à un état de société, et avec lesquelles il faut bien désormais que notre temps s’accoutume à vivre sans illusion et sans faiblesse : ce sont tous ces problèmes de l’industrie, du salaire, du travail, qui renaissent à chaque instant. Pour cela, il n’y a pas d’arrêt de haute cour qui en décide, il n’y a pas de sénatus-consulte qui puisse en avoir raison. Le mal est plus profond. Ce qui arrive au Creuzot en est un frappant exemple. Il y a quelques semaines tout au plus, une première grève éclatait ; on avait de la peine à calmer cette effervescence de toute une population ouvrière, à remettre en mouvement cette immense machine que dix mille bras font marcher. Aujourd’hui une crise nouvelle vient de forcer le président du corps législatif, M. Schneider, à reprendre en toute hâte le chemin de son grand établissement industriel pour tenir tête à des difficultés d’autant plus menaçantes qu’elles sont insaisissables et indéfinies. C’est là en effet ce qu’il y a de caractéristique dans cette recrudescence fiévreuse qui vient de se manifester au Creuzot. Jusqu’ici, tout semble assez mystérieux. La grève n’est que partielle au premier abord ; en réalité, elle est pourtant assez étendue pour gêner le travail, pour entretenir surtout l’exci-