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Un Zurichois ou un Bernois qui voyage en Wurtemberg ne s’y sent point dépaysé ; tout lui rappelle que le Souabe est son parent, qu’ils sont sortis l’un et l’autre d’une tige commune. Il retrouve dans cette Suisse monarchique tout ce qui se voit chez lui, le même penchant à se gouverner soi-même, la liberté communale, une ardeur passionnée pour les affaires publiques, l’esprit de parti tout-puissant, l’usage illimité du droit de réunion et d’association, une police qui n’impute à personne des délits d’opinion. Cependant les deux pays ne se ressemblent pas en tout point, La Suisse, en raison de sa petitesse et de la division pour ainsi dire parcellaire de son territoire, se compose de cantons qui ne sont la plupart que des municipes souverains ; il en résulte que les opinions et les idées y prennent des proportions municipales, et que de grands talens politiques y sont employés souvent à régler des questions de ménage. Les Souabes joignent à l’avantage de former un pays à part, qui s’administre et se régit lui-même, celui de se rattacher à une grande vie nationale, dont ils ressentent les contre-coups et les courans ; ils ne sont pas claquemurés chez eux ; tout en s’occupant activement de leurs affaires, ils ont vue sur le monde, et débattent avec leurs intérêts privés ceux de 40 millions d’Allemands. Aussi n’ont-ils pas l’esprit positif et renfermé du Suisse. Le Wurtemberg a produit non-seulement des Schiller et des Uhland, mais des métaphysiciens, des Schelling et des Hegel. En revanche, le Suisse, se mouvant dans un cercle plus étroit et ne s’occupant, que d’intérêts dont il peut faire le tour, apprend à se défier des utopies ; son bon sens politique, qui le préserve de bien des entraînemens dangereux, est le correctif de l’absolue liberté dont il jouit. En sa qualité d’idéaliste, le Souabe a le goût de faire grand ; il cherche l’absolu dans la politique, — délicate entreprise. Ajoutez qu’il tient trop à ses idées pour se résigner facilement à en rien sacrifier ; il aime mieux s’isoler que de s’amoindrir. N’est-ce pas un poète souabe qui a dit : « Je ne jurerai jamais par le nom de personnel car moi aussi je suis quelqu’un ? »

En Wurtemberg, les difficultés politiques sont d’une tout autre nature qu’en Bavière ; elles n’y sont point compliquées d’oppositions de classes, et de confessions. Le Wurtemberg est un état essentiellement protestant ; sur 1,800,000 habitans, il a 540,000 catholiques, et sur cette terre protestante l’état moderne se développe sans crises violentes ; le terrain lui est favorable, il plonge ses racines dans des consciences émancipées. L’esprit libéral domine parmi les catholiques du Wurtemberg. Le clergé souabe fait ses études à Tubingen, il s’y familiarise avec les sciences, l’histoire et les idées nouvelles ; partant il est disposé à vivre en de bons termes avec les protestans et avec l’état, et quelques efforts qu’une nonciature italienne, qui