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ne comprend rien aux instincts élevés de l’esprit allemand, ait pu tenter pour brouiller les cartes, elle n’y a pas réussi.

Nous avons vu qu’en Bavière le plus grand embarras pour un gouvernement libéral est une démocratie rustique, ennemie du bourgeois, par trop conservatrice et endoctrinée par ses curés. En Wurtemberg, le danger est la formation d’un parti républicain, auquel semble incliner une fraction de la bourgeoisie. Les Souabes ont la république à leurs portes, ils ne sont séparés d’elle que par la largeur du lac de Constance, elle est pour beaucoup d’entre eux un idéal qu’ils souhaitent d’acclimater chez eux. Le parti républicain, qui a pour organe le Beobachter de Stuttgart[1], ne réclame pas ouvertement la république, il se contente de demander les institutions républicaines. Il a déjà obtenu le suffrage universel ; ce qu’il poursuit en ce moment, c’est l’abolition de la chambre des pairs et le remplacement de l’armée permanente par des milices organisées et exercées comme en Suisse. De telles prétentions ont paru excessives à plusieurs des hommes de valeur du parti démocratique ou Volkspartei. Ils sentent qu’une propagande républicaine, couverte ou déclarée, donnerait beau jeu à la Prusse. L’attachement qu’ont les populations du sud pour leur indépendance est un faisceau de sentimens, d’habitudes et de traditions auquel il serait dangereux de toucher ; l’amour du pays s’unit étroitement dans leur esprit à l’affection qu’elles portent à la maison de leurs princes. Est-il sûr qu’elles soient mûres pour la république ?

Le président du ministère wurtembergeois, le baron de Varnbüler, n’est pas de ceux que les difficultés effraient ou rebutent. Si c’est le caractère des grands poètes de faire difficilement des vers faciles, c’est le propre des hommes d’état qui ont la vocation de faire facilement les choses difficiles. Esprit supérieur et ironique, M. de Varnbüler a de l’homme d’état le coup d’œil juste et prompt, le sentiment vif et net des situations, le parfait sang-froid et cette belle humeur qui assure à l’esprit toute sa liberté. Administrateur consommé, il possède aussi la tactique et le maniement des assemblées. Il sait, selon les occasions, agir ou faire agir, se montrer ou s’effacer, parler ou se taire. On l’a vu, dans les grandes crises, assister silencieux pendant des séances entières à des débats passionnés où s’agitait une question de cabinet, attendre son moment, et, profitant d’une manœuvre imprudente, d’un mot malheureux, faire une soudaine trouée dans les rangs ennemis et enlever la victoire quand tout semblait perdu. Au surplus, le moins doctrinaire des hommes, faisant peu de cas des politiques spéculatifs et de ces rêveurs que

  1. Le Beobachter a pour rédacteur en chef M. Karl Mayer, écrivain de grand talent d’un esprit élevé, d’un cœur chaud, et l’une des plumes de guerre les mieux taillées de l’Allemagne.