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vivent principalement du travail manuel affirment qu’elles sont iniquement exploitées par les autres catégories de citoyens, et, sous le prétexte de rétablir ou plutôt de créer la justice dans les relations sociales, elles annoncent l’intention de refondre non-seulement les institutions, mais encore les mœurs et les idées, en un mot la civilisation tout entière. Cet esprit d’hostilité radicale contre l’ordre existant a deux modes de manifestations : d’un côté, dans le domaine théorique, les discussions journalières, les programmes et les systèmes qui remplissent les réunions publiques et les organes de la presse avancée ; de l’autre, dans le domaine des faits, ces crises si nombreuses qui font irruption tour à tour dans nos divers centres manufacturiers, qui, en suspendant le travail, troublent le cours naturel de la production, et arrêtent la marche progressive de nos industries.

En présence de ces idées subversives et de ces fréquens désordres matériels, les esprits les plus fermes se trouvent déconcertés et se prennent à douter parfois de l’efficacité des principes de liberté par lesquels ils croyaient assurer le développement régulier et pacifique de la civilisation. Des catastrophes comme celles de Seraing, de la Ricamarie et d’Aubin, des coalitions grosses de périls comme celles de Bâle, de Genève et du Creuzot, des tentatives ouvertement criminelles comme celles qui avaient ensanglanté Sheffield il y a quelques années, et qui viennent de se renouveler ces jours derniers à Thorncliffe, tout cet enchaînement de faits déplorables jette l’alarme parmi les populations paisibles et laborieuses, dont ils compromettent le repos et entravent l’essor. Le moindre mal produit par ces crises successives et rapprochées n’est pas cette frayeur extrême qui envahit peu à peu le parti conservateur, et qui pourrait le jeter à la longue dans la voie des mesures de compression.

Quelles sont les causes de cet état maladif où semblent se trouver les populations ouvrières de plusieurs de nos grands centres industriels ? quels sont dans l’histoire, et spécialement dans la première partie de ce siècle, les antécédens de ces idées de violence et de guerre qui se manifestent dans les réunions ouvrières et dans les grèves ? comment la constitution de notre industrie se trouve-t-elle affectée par ces discordes intestines ? quelle est la position respective des entrepreneurs et des ouvriers dans ces regrettables luttes ? Telles sont les graves questions que nous nous proposons d’examiner, questions traitées bien des fois au point de vue scientifique et général, mais qui ont été rarement abordées sur le terrain des faits actuels et de la situation présente. En remontant ainsi à l’origine du mal, en suivant notre organisation industrielle dans les modifications qu’elle a éprouvées depuis cinquante ans, nous comprendrons mieux