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aussi indépendans et aussi forts les uns que les autres à l’égard des brigands, et ainsi personne n’y perdrait. Ces derniers seraient-ils pour cela détruits ? Non ; mais un appui, réel ou imaginaire, sur lequel ils comptent et auquel tout le monde croit, leur serait enlevé. Pour comprendre ce qui resterait à faire, il faut connaître l’origine même du brigandage et la manière dont il se recrute.

On savait depuis longtemps en Grèce, et l’interrogatoire des bandits qui viennent d’être condamnés l’a confirmé, que la plupart des brigands sont d’anciens bergers. En Occident, nous ne possédons aucune classe d’hommes qui puisse donner quelque idée des bergers grecs ; je vais essayer de le faire, en ayant vu beaucoup moi-même dans les montagnes, et sachant le genre de vie qu’ils mènent et la condition sociale où ils se trouvent. Ils se tiennent avec leurs troupeaux et leurs chiens sur les flancs élevés des monts incultes. Toujours en mouvement, ils couchent à la belle étoile quand les nuits sont sereines ; si la pluie les menace, ils se retirent soit dans quelque caverne, soit dans une maison, un monastère ou une église abandonnée, comme on en trouve partout dans le pays. Maîtres de leurs troupeaux, ils en vendent le lait soit à des laitiers qui le revendent en ville, soit par leur intermédiaire aux consommateurs de la plaine. Ces porteurs de lait, qui de grand matin parcourent les rues en criant gala, sont les commissionnaires des bergers ; ceux-ci ne pouvant quitter leurs troupeaux, les laitiers qui portent en ville la traite des brebis et des chèvres rapportent aux pasteurs les choses nécessaires à leur vie. Les bergers passent donc leur existence dans les hautes montagnes, seuls, en compagnie des bêtes sauvages et des rochers, n’apprenant rien, ne tenant à rien, ne sachant ni lire ni écrire, ne faisant aucun travail, et n’ayant d’autre occupation que de partager avec leurs chiens la surveillance de leurs troupeaux.

Ces bergers sont nomades. Non-seulement ils se déplacent petit à petit d’un jour à l’autre ; mais quand viennent les grandes chaleurs de l’été, qui font souffrir et périr les bêtes à laine, ils quittent la Grèce, et de montagne en montagne regagnent les pays du nord d’où l’hiver les avait chassés. Avant leur départ a lieu la fête de Pâques, où chaque famille grecque mange un agneau ; durant les jours qui précédent, ils descendent aux alentours des villes avec leurs troupeaux et vendent aux habitans les petits qu’ils ne veulent pas emmener avec eux vers le nord. À cette époque, les brebis et les chèvres ont beaucoup perdu de leur lait ; elles peuvent voyager sans risque, et quand elles sont arrivées dans leurs stations septentrionales elles fournissent un autre produit, leur laine. Depuis leur enfance jusque dans un âge avancé, les bergers de la péninsule hellénique mènent cette vie errante et presque sauvage, où ils n’ont