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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 juin 1870.

Un jour, il y a quelque dix ans, un homme respecté pour son nom, pour ses vieux services, pour sa fière intégrité, un ancien membre de nos assemblées, un ancien président du conseil, le duc de Broglie, employait les loisirs forcés que les événemens lui avaient faits à méditer sur l’état politique de la France, sur un présent qui lui apparaissait comme une halte entre le passé et l’avenir. Ces méditations d’un observateur solitaire, il ne songeait pas à les livrer au public, il les avait fait simplement autographier pour lui seul ou tout au plus pour quelques amis. C’était une sorte de testament politique qu’il écrivait dans la plénitude d’une intelligence élevée et sincère. Mal lui en prit d’une telle hardiesse. Celui qui était alors chargé de la police de l’esprit ne l’entendait pas ainsi ; c’était sans doute à ses yeux un crime manifeste contre l’empire de penser librement, fût-ce dans la plus discrète intimité. On saisit ces pages qui n’étaient pas destinées à voir le jour, et peu s’en fallut que l’auteur lui-même n’eût à comparaître devant un tribunal pour avoir osé réfléchir.

Que de choses ont changé en peu d’années ! Celui qui commandait ces brillantes expéditions contre l’indépendance de la méditation solitaire est maintenant passé libéral. Le duc de Broglie est mort il y a quelque temps, vengé par ceux-là mêmes qui l’avaient poursuivi dans sa pensée, et son fils peut aujourd’hui, sans danger fort heureusement, sans avoir aucune permission à demander, publier avec une respectueuse fidélité les vues sur le gouvernement de la France. Ce que c’est que la fortune pour les œuvres de l’esprit comme pour les hommes ! Ce livre d’honnête spéculation et de savante expérience, qu’on poursuivait il y a dix ans comme une sédition, est tout simplement à l’heure où nous sommes un livre de circonstance. C’est la théorie précise, ingénieuse et éloquente de la nécessité de la monarchie constitutionnelle démontrée par l’histoire, par la nature des choses, par le caractère français, par l’impossibilité du régime qui existait encore au temps où