Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 87.djvu/1036

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

espèce de résumé de t : utes les difformités morales qui ont servi à composer l’infernal garde-chasse, et qui va se dédoublant dans le caractère d’Églantine.

Cette absence de force caractéristique est cause que Weber n’a jamais su écrire un finale. Ses finales sont de simples morceaux d’ensemble sur lesquels va s’étendre par momens une éblouissante nappe mélodique, des chœurs souvent pleins de magnificence ; mais nous ne voyons pas qu’ils se mêlent beaucoup à l’action. Ils arrivent la plupart du temps lorsque la pièce est jouée, éclatent en hymnes d’actions de grâces, et se contentent de former le couronnement de l’édifice. Le finale de Don Juan et des Noces de Figaro, du premier acte du Barbier, du second acte de Guillaume Tell, le finale du second acte des Huguenots, voilà des chefs-d’œuvre de contexture dramatique ; parlez-moi de Mozart pour savoir créer, conduire et dénouer son drame, manœuvrer des personnages, dont les intérêts et les passions s’entre-croisent, et bon gré mal gré les concentrer sur un point stratégique avec cette habileté de coup d’œil, cette assurance magistrale, qui faisaient dire au grand Frédéric : « Les ennemis sont où je les voulais. » Mettre en regard de la pleurarde sentimentalité d’Agathe l’enjouement guilleret d’Annette et marquer, dans le duo et le trio du Freyschütz, la différence de ces deux natures par des oppositions de rhythme, est une très ingénieuse antithèse musicale, un joli trait de peinture de genre, et rien de plus. Mozart et Beethoven, Rossini et Meyerbeer, s’y prennent autrement lorsqu’il s’agit d’individualiser des caractères ; mais ceux-là sont des humanistes, tandis que le romantisme fantastique de Weber n’a de goût que pour les puissances occultes de la nature, et ne veut du cœur humain que sa rêverie et ses superstitions. Il ne connaît que le gouffre ou la grotte d’azur, la porte d’airain ou la porte d’ivoire, sunt geminæ portas, et dédaigne de frapper à la grande porte de la vie, à celle où les Shakspeare, les Molière, les Mozart et les Beethoven ont passé : la terre est une région intermédiaire qui à ses yeux ne compte pas, c’est un gnostique ; mais ouvrez-lui les mondes souterrains, les campagnes du bleu, et vous verrez comme il les gouverne en roi. On peut dire de Weber qu’il a créé la langue des esprits, son orchestre ne ressemble en rien à ce qu’on avait entendu jusqu’alors. Laissons de côté le bon Haydn et son quatuor patriarcal, où les instrumens à vent, quand ils interviennent, ne figurent guère qu’à l’état de solistes ; Mozart, bien autrement coloriste, mélange les sonorités, et par la fusion des divers groupes arrive à l’intensité de l’expression ; Beethoven, nul ne l’ignore, est en matière d’instrumentation, l’individualisateur par excellence, connaissant le fort et le faible de chaque instrument, en tirant pour l’effet général, symphonique, tout ce que sa nature peut fournir de ressources même secrètes, et si le quatuor reste encore chez lui la base fondamentale de l’orchestre, du moins toutes les voix conservent-elles un certain équilibre. Avec Weber,