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allégé d’autant, et le public quitterait la place sous une impression de plaisir que l’ennui n’a point traversée.

Un ballet n’est point toujours un thème que le musicien doive mépriser ; cette action muette, cette suite de scènes où l’orchestre seul commente l’action et lui vient en aide pour remplacer la parole absente offrent au contraire au compositeur une belle occasion de se développer. Il y peut montrer toute sa force, être savant, habile, industrieux à son heure, inspiré quand il le faut, développer au besoin tous les trésors de sa mémoire, tantôt citant les maîtres et tantôt puisant à son propre fonds, libre de festonner en longeant la côte ou de gagner au large. Hérold a semé dans la Somnambule mille choses exquises, Adolphe Adam ne fut jamais poète que dans ses ballets ; ce Désaugiers musical vous a dans Giselle des idéalités à la Novalis, et dans le Corsaire des flammes dramatiques dont ses opéras ne portent point trace. C’est un peu de ce romantisme que nous voudrions rencontrer dans la musique de Coppélia. L’auteur, M. Léo Delibes, est un écrivain, et parmi tous les compositeurs attendant leur tour, parmi tous ces normaliens ferrés sur la théorie, je ne sais guère que M. Bizet qui soit capable de manier et de remuer un orchestre avec cette solidité de poigne. Si vous aimez le coloris instrumental, on en a mis partout ; j’ose même dire qu’il y en a beaucoup trop. Ces curiosités de résonnances au premier abord amusent l’oreille ; à la longue, elles vous étourdissent, vous assomment. Que M. Delibes y prenne garde, en un temps où la dextérité de facture a livré tous ses secrets, ce maniérisme à outrance, ce brio continu aura bientôt fait de tourner au poncif. Un autre grand péril qui menace les musiciens de talent, c’est l’opérette-bouffe. M. Léo Delibes a donné dans cet affreux travers ; il en est revenu, pensons-nous, mais sa musique en portera longtemps la marque. Rien de plus agaçant que ces harmonicas du second acte : les gens que cette note réjouit cherchent à l’excuser en arguant de la situation. Il se peut en effet que ces jeux de timbres imitant les boîtes à musique de Nuremberg fassent un accompagnement très naturel aux évolutions d’une poupée ; il n’en reste pas moins vrai que de pareilles combinaisons nous viennent en droite ligne des Bouffes-Parisiens. Indiquer la note eût suffi ; la reproduire avec tant de complaisance, c’est vraiment se montrer trop ingénieux.

La petite Joséphine Bozacchi a déjà sa légende, ce qui, pour réussir à l’Opéra et s’y imposer d’autorité dès le début, est une condition non moins indispensable aujourd’hui que de n’être point née Française. Comme la Norvégienne Nilsson jouant du violon dans les kermesses villageoises, la Milanaise Bozacchi a connu les mauvais jours, et bien avant que les lustres fussent allumés, mille anecdotes habilement répandues attiraient la sympathie du public sur cette gracieuse enfant, soutien de toute une famille. Il s’est même trouvé aussitôt des bonnes âmes pour dicter à l’innocente pensionnaire des lettres d’un