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ou se résignent au commerce, parce que c’est encore une forme de la paresse, et parce qu’ils restent assis derrière leur comptoir ou causent sur le seuil de leur boutique, se souciant à peine de l’acheteur. Sans besoins très vifs, consolés et fêtés par le climat, heureux de respirer, joyeux de vivre, ils aiment le rire, le chant, la danse et le soleil. La mendicité n’est point un état qu’ils condamnent, ni l’obscénité une habitude qui leur répugne ; l’idée nette de la propriété d’autrui ne pénètre que lentement dans l’esprit de la basse classe.

Le trait dominant de la race, c’est la mimique, c’est-à-dire une vivacité d’action, une précision dans les mouvemens du corps pour traduire la pensée, un accord entre la parole et le geste, qui sont à peine croyables. Rien ne leur est plus naturel que le don d’improviser en prose comme en vers, et chaque automne la fête de Piè-di-Grotta leur fait créer en commun le chant populaire de l’année. L’éloquence leur est innée, vulgaire, mais spirituelle, licencieuse, mais pleine de feu. Un crieur public, pour vendre à l’encan un morceau de drap ou un mouchoir, montrera une verve, une abondance d’argumens et une souplesse de talent que lui envieraient bien des orateurs. Un capucin ignorant, prêchant sur l’estrade qui lui sert de chaire, saura, à force de gestes, d’inflexions dans la voix et de prestesse dans ses évolutions, mettre en scène Dieu, le diable, les saints, les pécheurs et tout le drame du jugement dernier. Dans les querelles surtout, le Napolitain est intarissable ; sa colère bouffonne a tour à tour des cris et des lazzis qui constituent une véritable comédie, et pourraient servir de modèles à des acteurs consommés.

Il n’est donc point surprenant que ce soient leurs ancêtres les Campaniens qui aient inventé un genre de représentations qui a fait les délices de l’antiquité et fait encore les délices de Naples. Atella, ville située à égale distance de la mer et de Capoue, au milieu des champs les plus fertiles, avait la première imaginé une série de scènes comiques qui ne ressemblaient ni au drame satirique des Grecs, avec Pan, les silènes et les nymphes (figurés si souvent sur les vases grecs), ni à la comédie d’Aristophane ou de Ménandre ; c’étaient des scènes familières, populaires, d’une réalité saisissante. On mettait sur le théâtre des personnages véritables, copiés dans la rue, dans les champs, dans la maison. On les faisait vivre, parler avec vérité, seulement on tournait tout en ridicule. Ces pièces s’appelèrent atellanes et eurent un succès qui s’étendit jusqu’à Rome, les Romains en firent même leur comédie nationale ; ils réservèrent à la jeunesse patricienne, en l’interdisant aux histrions de profession, le plaisir de jouer les atellanes en langue osque.