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Nantes, Marseille, Lyon, Nîmes, ont dit non au plébiscite, mais en même temps dans beaucoup d’autres villes intelligentes, populeuses, industrielles, à Strasbourg, à Reims, à Douai, à Dunkerque, à Valenciennes, à Roubaix, à Mulhouse, à Amiens, à Versailles, c’est le oui qui a eu la majorité, et même, tout bien examiné, les villes qui ont donné un vote affirmatif sont les plus nombreuses. On comptait du moins sur Paris pour compenser tout le reste par une de ces manifestations qui ne laissent aucune place à l’équivoque : eh bien ! pas du tout, ici encore il y a eu depuis les élections de 1869 un déplacement de plus de 50,000 voix, et dans certaines sections qui appartenaient tout entières à l’opposition la plus vive, à Belleville même si l’on veut, dans les circonscriptions qui ont élu M. Jules Simon, M. Jules Favre ou M. Picard, le oui a fait des trouées significatives. Par contre, on ne doutait pas un instant que l’armée ne dût voler comme un seul homme, au pas de charge et au commandement supérieur ; il n’en est rien, il y a eu dans l’armée 40,000 non dont on dénaturerait étrangement le sens, si on y voyait le symptôme d’une défection possible, mais qui prouvent simplement que l’armée a voté avec une suffisante liberté d’abord, qu’elle est en outre dans sa vie morale l’image du pays, puisque le vote militaire reproduit les mêmes proportions de majorité et de minorité que le vote civil. Les soldats ont dit oui ou non, comme ils ont voulu, puisqu’on leur donnait ce droit ; ils ont respiré l’air ambiant dans lequel ils vivaient : ils ne restent pas moins après cela les serviteurs fidèles et disciplinés du drapeau partout où ce drapeau sera engagé.

Ainsi tout a été véritablement assez imprévu dans ce dernier scrutin, et c’est à travers les surprises et les apparentes contradictions que s’est précipitée cette avalanche qui a fait le vote du 8 mai. On interprétera ou l’on groupera les chiffres comme on voudra, on se donnera la maigre consolation d’opposer certaines villes aux campagnes ou de démontrer que la minorité est la majorité, on triomphera de telle ou telle circonstance particulière ; en définitive, le résultat est là, éclatant, caractéristique, — 7,300,000 oui contre 1 million 1/2 de non, — et plutôt que de s’attacher à de puériles décompositions de chiffres ou aux plus obscurs détails d’un scrutin frappant surtout par son ensemble, mieux vaudrait voir de plus haut cette éclatante manifestation publique, et en dégager le sens, chercher ce qu’il y a de réellement instructif pour le gouvernement aussi bien que pour les partis. Au lieu de se perdre en toute sorte de vaines récriminations ou de subterfuges complaisans pour se déguiser la vérité, mieux vaudrait prendre telle qu’elle est la situation nouvelle créée aux uns et aux autres, et reconnaître qu’il y a là effectivement pour tous un nouveau point de départ. Il en est de certains votes comme de ces faits tout-puissaus contre lesquels il est inutile de se révolter, « parce que cela leur est parfaitement égal : » ils existent, ils ont de plus pour eux tout ce qui peut légitimer un fait, et cela suffit.