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définie, circonscrite, en face d’un expédient qui au premier instant était reçu avec une certaine hésitation dans le pays, on n’aurait peut-être pas réussi encore ; mais on aurait pu rallier en faisceau toutes ces hésitations, ces doutes, ces scrupules, qui se manifestaient à l’idée d’une commotion dont l’instinct public n’entrevoyait pas la nécessité. Il était évident au contraire qu’en poussant la question à outrance, en laissant la lutte changer de caractère au point de devenir un duel entre l’empire réformé et la république par une révolution soudaine, on rendait au gouvernement tous ses avantages ; on rejetait vers le plébiscite tous les instincts conservateurs effrayés et même les instincts libéraux qui ne voulaient pas aller là où le radicalisme prétendait les conduire. Tout ce que perdait une opposition parlementaire et réfléchie, le gouvernement le regagnait nécessairement ; tout ce qui se détachait du camp des modérés, des hésitans, des scrupuleux, devenait un appoint naturel pour le plébiscite, et il en est résulté cette situation où des députés qui avaient été élus l’an dernier par d’immenses majorités, M. Grévy, M. Jules Simon, M. Ernest Picard, ont été abandonnés dans le combat par une partie de ceux-là même qui les avaient nommés : d’où il faut conclure évidemment que ces électeurs avaient choisi leurs mandataires comme libéraux, comme promoteurs de réformes progressives, non pour poser ou pour accepter une question de vie ou de mort entre l’empire et la république. La gauche a donc été une mauvaise tacticienne, et ce qu’il y a de plus triste, c’est qu’elle n’a pas même été emportée par une ardeur de tempérament. La gauche a mérité sa défaite par une raison bien autrement grave, parce qu’en désertant le terrain où elle aurait pu nouer une action encore assez sérieuse, elle n’a pas su ou elle n’a pas osé secouer des alliances qu’on appelle aujourd’hui compromettantes, elle s’est laissé traîner à la remorque par toutes les passions d’un radicalisme effréné.

Par le fait, il n’y a point à s’y tromper, la gauche n’a rien conduit, elle s’est bornée à pratiquer la maxime de celui qui disait en parlant de ses hommes : « il faut bien que je les suive, puisque je suis leur chef, » Les vrais héros de cette campagne démocratique et républicaine qui se poursuit depuis plus de six mois et qui vient d’aboutir à la dure déception du plébiscite, ce sont tous ces médiocres agitateurs de clubs et de journaux radicaux qui sont parvenus à assourdir le pays, et qui ont fini par se croire des dictateurs prédestinés, les dépositaires inviolables des grands principes de 1793. Ils ne sont pas plus les fils de 1793 que d’une autre époque. Les hommes de 1793, avec leurs fureurs sanguinaires, étaient du moins d’énergiques patriotes, qui avaient encore l’orgueil farouche de la France, s’ils n’avaient pas le sentiment de sa vraie grandeur. Ceux d’aujourd’hui ne voient dans le patriotisme qu’une superstition surannée ; ils sacrifieraient parfaitement la France à un cosmopo-