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bonne foi : « ainsi tombe cette illusion qui présentait la France comme retenue de force dans des liens qu’elle était impatiente de briser ; ainsi est condamnée cette action bruyante qui depuis un an surtout a été si étourdiment substituée à l’œuvre sérieuse d’une politique prévoyante et dévouée. » On ne peut mieux dire. Le fait est que, s’il y a un vaincu aujourd’hui, c’est la gauche, qui se trouve prise entre cette « action bruyante » dont parle M. Ernest Picard et un plébiscite dont le succès n’a dépassé peut-être toutes les prévisions que par la faute de ceux qui l’ont combattu.

On a fait ce qu’on a pu pour que le vote du 8 mai, qui n’a plus maintenant qu’à être promulgué, eût clairement, ostensiblement, ce caractère d’une défaite des idées révolutionnaires ; il a évidemment cette grande et supérieure signification aujourd’hui, quelles que soient les dissidences qui ont pu se manifester un instant dans les partis modérés. Il serait puéril de le nier, c’est une force pour l’empire, qu’on croyait miné, ébranlé, tout près d’être abandonné par le pays, et qui se relève de toute l’autorité de ses 7 millions de voix. Si ce n’est pas une seconde jeunesse, puisqu’il n’y a point deux jeunesses, pas plus pour les gouvernemens que pour les hommes, c’est au moins un élément nouveau de sécurité et d’aisance dans l’action politique. Est-ce à dire que par ce dénoûment victorieux nous soyons tout à coup ramenés aux beaux jours de 1852, et que le germe plébiscitaire laissé dans la constitution nouvelle suffise pour vicier le régime parlementaire qui s’efforce de renaître parmi nous ? Ce serait interpréter étrangement les faits et compter pour bien peu le chemin parcouru. Le pays consulté n’a point séparé la liberté de l’empire dans son vote ; mais c’est une autre question de savoir s’il eût voté encore une fois l’empire sans la liberté, de telle sorte que les deux choses se tiennent aujourd’hui, le vote les a confondues, et c’est la liberté qui a triomphé tout autant que l’empire. Sans doute, nous le savons bien, ce système plébiscitaire mis en tête-à-tête avec le système parlementaire forme une machine d’un ordre particulier, qui jusqu’ici n’a point trouvé place dans les catalogues de mécanique constitutionnelle. C’est une combinaison de ressorts qui en se heurtant peuvent voler en éclats. De toute façon, mieux eût valu s’en tenir à des rouages plus simples, plus rationnels, et tout ce qu’on a pu dire pour prouver que le plébiscite est le signe distinctif des monarchies démocratiques laisse le problème parfaitement intact.

ne faut cependant rien exagérer, ni la prépondérance que ce régime est censé assurer au chef de l’état, ni la subordination qu’il semble infliger aux assemblées. En théorie, c’est beaucoup ; dans la pratique, tout reste nécessairement soumis à la puissance de l’opinion, et, quoi qu’il arrive, un appel au peuple ne sera jamais qu’une ressource exceptionnelle et suprême, dont on ne sera tenté de se servir que lorsque