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elle devait succomber avec elle. En 93, la Belgique fut de nouveau envahie par l’armée révolutionnaire, reconquise après de sanglantes batailles sur les Anglais, les Allemands et les Hollandais, qui l’avaient occupée, et vers la fin de 1794 les Français, sous Pichegru, se présentaient en vainqueurs sur les frontières des Provinces-Unies. Les historiens hollandais leur reprochent d’avoir violé une suspension d’armes conclue le 11 décembre pour profiter d’une forte gelée qui leur permit de franchir, le 27, à pied et à cheval, les grands cours d’eau qui servent de défense naturelle à la Hollande du côté de la Belgique. C’est ainsi que la flotte hollandaise, immobile dans les glaces, fut prise par un régiment de cavalerie.

Du reste l’état des esprits ne permettait pas de songer au renouvellement des sacrifices héroïques de 1672. L’impopularité personnelle du stathouder, la haine des Anglais, qui se retiraient par la Frise en Hanovre sans brûler une amorce pour la défense de leurs alliés, la hardiesse inspirée au parti patriote par le retour des Français, tout s’y opposait. Dans chaque ville, il y avait un comité révolutionnaire en pleine activité. La chute de Robespierre et du régime incarné dans sa personne avait réconcilié avec la république française ceux que le sanglant despotisme de la terreur avait refroidis dans leur premier enthousiasme. On voyait la coalition battue de tous les côtés. Enfin les généraux français ne cessaient de déclarer dans leurs proclamations qu’il ne s’agissait point d’une guerre de conquêtes, que la république en voulait non à la nation hollandaise, mais seulement au stathouder et aux aristocrates, et que leur seule ambition, en entrant sur le territoire batave, était d’aider une vieille république sœur à chasser ses tyrans et à se donner librement la constitution qui lui conviendrait le mieux. On croyait alors à la parole de la France. Le prince d’Orange vit clairement qu’il ne fallait pas s’obstiner dans une résistance impossible, et le 18 janvier 1795 il s’embarqua à Scheveningen, lui et sa famille, pour l’Angleterre.

La révolution s’opéra partout en même temps et sans effusion de sang. Il y eut bien quelques têtes chaudes, surtout parmi les émigrés rentrés à la suite des Français, qui voulurent cimenter leur triomphe par le supplice des partisans les plus compromis de l’ancien régime ; mais le peuple hollandais était trop calme et au fond trop peu irrité contre ses anciens maîtres pour applaudir à de pareilles vengeances. De plus, et nous aimons à le constater, les généraux français, Pichegru en tête, s’opposèrent de tout leur pouvoir à l’inauguration de la guillotine politique. La république néerlandaise fit de son mieux pour se constituer sur le modèle de sa grande sœur de France. C’est encore aujourd’hui un grief des bons Hollandais contre leurs pères de 95 que l’abdication du nom traditionnel de la Néerlande, auquel on substitua celui de