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tous au gouvernement du pays est assurée. Or c’est ce qui existe en France par le seul fait du suffrage universel. Quel que soit sur certains points le désaccord de nos institutions et de nos mœurs avec le principe, quelques regrets que le passé inspire, quelques défiances que l’avenir excite dans certains groupes de la société française, il n’y a plus d’autre maxime de notre droit public ni d’autre origine des pouvoirs politiques que la volonté du peuple.

Il ne s’agit plus de se demander, avec les scrupules d’un formalisme qui n’est pas sans quelque subtilité byzantine, si la démocratie est chez nous un fait accompli, ou en train de s’accomplir, mais de se rendre compte, avec une intelligence virile, des conditions nouvelles qui nous sont faites et du meilleur parti que nous devons en tirer pour le profit de tous et le progrès de chacun.

N’y a-t-il qu’une seule espèce de démocratie, et, s’il y en a plusieurs, à laquelle la France doit-elle attacher ses préférences ? De quel côté doit-elle tourner ses efforts et ses vœux ? Que doit-elle faire pour se prémunir contre certaines tendances inhérentes à l’esprit démocratique, qui sont comme les fatalités du système, et qu’un écrivain politique considérable de l’Angleterre, M. Stuart Mill, fort préoccupé de cette question, n’a pas craint d’appeler les influences dégradantes de la démocratie ?

Ce qui importe avant tout, c’est de bien s’assurer que l’on a devant soi la véritable nation, non cette nation factice, bruyante, révolutionnaire, qui essaie de se substituer à l’autre. La plus honteuse influence à subir serait la prédominance d’une de ces portions exaltées et tumultueuses du peuple, qui, dans tous les temps, dans toutes les sociétés démocratiques, tendent à prendre le rôle, l’autorité du peuple lui-même, au nom de je ne sais quelle délégation mystérieuse, parlant pour lui en toute occasion, le faisant parler au gré de ses violences, et, si on le laisse faire, agissant pour lui. Sur le fond généralement calme des masses laborieuses, se dessinent des groupes ardens qui veulent entraîner les foules, des individualités énergiques et passionnées qui mènent les groupes. Quelquefois les masses cèdent ; ce sont alors des agitations sans frein et sans limite, l’océan populaire est remué jusque dans ses profondeurs ; c’est l’heure des grandes révolutions politiques et sociales. D’autres fois, et c’est ce qui arrive le plus souvent ; les masses populaires ne cèdent pas parce qu’elles ne voient point un intérêt immédiat, ou qu’une forte passion n’est pas en jeu ; elles restent indifférentes. Alors se produisent ces impatiences fébriles qui s’épuisent à créer un mouvement factice dans l’impuissance d’en créer un qui soit profond et sérieux. Il ne manque jamais de s’organiser un parti qui se constitue de son autorité privée le mandataire de ce peuple silencieux ou endormi. Les chefs de ce parti sont les oracles