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soir des auditoires nombreux à plusieurs réunions publiques, s’emparant des salles aussitôt qu’elles sont ouvertes, fermant l’accès aux vrais auditeurs, remplissant les lacunes de la discussion sérieuse par l’agitation, par les cris, par des motions insensées, accaparant à leur profit, dans les jours de crise, l’attention et l’effroi de tout le monde : basse démocratie de parade au service de quelques vanités perverses, de quelques ambitions malsaines ou de quelques fanatismes obscurs. Qu’on ne s’y trompe pas, ces exhibitions d’un faux peuple, obéissant au mot d’ordre des tribuns de barrière, ne sont pas toujours sans péril. À certains jours, sous un souffle d’orage, la contagion peut se répandre sur les foules ; l’ivresse de la colère, versée à flots dans des âmes naïves et souffrantes, peut faire de chaque misère et de chaque souffrance un cri de haine et de révolte sauvage. Le délire à froid du faux peuple gagne alors le vrai peuple, et devient une fureur trop réelle. Nous l’avons bien vu à certaines dates de notre histoire, marquées par un long deuil national : malentendus terribles, dont les conséquences sont incalculables !

Ce genre de démocratie, à vrai dire, ne compte pas dans une discussion sérieuse ; il peut être à un jour donné et par surprise la force, il ne sera jamais le droit ; on le supprime par le dédain quand il se contente de déclamer, par la contrainte quand il passe de la violence des mots à celle des actes. Allons plus haut, étudions les tendances de la démocratie, non pas dans ces consultations irrégulières d’un pays factice, dans ces tumultes plutôt, qui ne sont qu’une bruyante déraison, mais dans ces groupes d’hommes intelligens et convaincus qui représentent avec une véritable autorité la démocratie radicale. Ce n’est plus ici le radicalisme faisant de la révolution comme on fait de l’art pour l’art, c’est le radicalisme dogmatisant et raisonnant, celui qui agit, mais par la pensée et la parole. Là encore nous aurons à voir si, avec de grands talens et des convictions élevées, on ne rencontre pas cette même tendance funeste, irrésistible, à mettre ses opinions personnelles, ses préférences, ses goûts, à la place des préférences et des opinions du plus grand nombre, ce qui est le penchant secret de toutes les démocraties dominées, dirigées à leur insu, par des minorités violentes ou des dogmatismes impérieux.

Prenons pour exemple la forme du gouvernement. Que disent à ce sujet les penseurs, les hommes d’état de l’école radicale ? Croyez-vous qu’ils laissent le choix libre à la majorité du pays, comme le voudrait, à ce qu’il semble, la logique du principe dont ils relèvent, et qui est après tout leur unique raison d’être ? Quelle erreur serait la vôtre ! Voici à cet égard leur thèse, résumée d’après les plus récens manifestes du parti. « Il importe, nous dit-on, de dégager les principes des compromissions qui les altèrent et les déshonorent.