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pas s’y refuser de façon à opposer un obstacle insurmontable à son établissement, 2o il doit avoir la volonté et la capacité de faire ce qui est nécessaire pour en maintenir l’existence, 3o il doit avoir la volonté et la capacité de faire ce que cette forme de gouvernement exige de lui et sans quoi elle ne pourrait atteindre son but[1]. Ces trois conditions suffisent pour maintenir la juste liberté d’un peuple à l’égard d’une dynastie. Si cette dynastie est infidèle à son mandat, il suffirait à un peuple, pour la briser, de suspendre cette participation active, nécessaire au mouvement de l’organisme politique. C’est là une assez belle garantie contre les vœux perpétuels, tant redoutés de la démocratie.

Mais allons plus loin dans la voie qu’on nous indique. La théorie radicale, appliquée en toute rigueur, ne proscrirait pas seulement la forme monarchique, elle limiterait d’une manière bien étroite les formes mêmes de l’institution républicaine. Examinons en effet les conséquences de ce prétendu principe, que le suffrage universel étant la réunion, la collection des volontés d’un peuple, doit rester absolument libre de se mouvoir en tout sens, selon les variations de cette volonté, mourant et renaissant à chaque seconde, se modifiant et disparaissant sous une impulsion différente ou contraire. À ce compte, et si vous prétendez être logique jusqu’au bout, quelle forme de gouvernement pourrez-vous établir ? Quel pouvoir exécutif s’accommoderait de pareilles exigences, dont le résultat pratique ne peut être qu’une absurdité ? La présidence à vie ressemble trop à la monarchie pour ne pas être immédiatement écartée : c’est la perpétuité du pouvoir dans une seule main sans les avantages de l’hérédité. Une présidence de dix ans ? Quel long espace de temps sans responsabilité sérieuse, quelle tentation offerte à l’esprit d’aventure ou de domination ! Les administrations décennales, présidences ou consulats, ont toujours abouti en France à des transformations et à des accroissemens de puissance. Il sera sage de restreindre les bornes d’un pouvoir qui tendrait toujours à les excéder, qui sentirait son ambition et ses moyens d’action croître et s’étendre avec ses limites légales. À quel terme les fixerons-nous ? À quatre années, comme aux États-Unis ? Mais comme ce terme est arbitraire ! Pourquoi quatre années plutôt que trois, plutôt que deux, plutôt qu’une ? En quatre années, combien de fois la volonté du peuple qui a nommé le chef du pouvoir exécutif peut-elle changer ! Que de regrets, de remords peut-être, si elle s’est liée à un chef incapable, ou, pis encore, capable de mauvais desseins contre la souveraineté nationale ! Qu’on se rappelle l’exemple de ce Johnston, dont l’administration tracassière et despotique, succédant inopinément à celle

  1. M. Stuart Mill, Du Gouvernement représentatif, p. 8.