Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 87.djvu/603

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
597
EXPLORATION DU MÉKONG.

lingots de cuivre. Cette œuvre colossale, plus digne que les pyramides d’Égypte ou la grande muraille de Tartarie d’exciter l’admiration du monde, a momentanément perdu de son importance ; mais, depuis que l’insurrection a été vaincue, les jonques, préférant la navigation facile et sûre de cette artère intérieure, abandonnent peu à peu la voie de mer, et, revenant à leurs anciennes habitudes, encombrent de nouveau le lit du grand canal. Tchin-kiang est le dernier port du Fleuve-Bleu où les navires européens venant de Han-kao soient autorisés à faire escale. Shang-haï en effet est situé à plus de 5 lieues dans l’intérieur, au point où le Houang-pou se réunit au Vousong, lequel se jette dans le Yang-tse-kiang en face de l’île basse de Tsoung-ming. Notre steamer mouilla le 12 juin 1868 en face du grand entrepôt du commerce européen, et tandis qu’on déchargeait les thés et les soies qu’il avait pris à Hankao, nous nous dirigeâmes vers le quartier français, cherchant du regard la maison consulaire, où l’hospitalité gracieuse de Mme  Brenier de Montmorand nous fit oublier en deux jours deux années de misères.

L’établissement européen de Shang-haï est placé dans une situation particulière, en dehors des règles ordinaires du droit international. Il constitue en fait une véritable colonie que les Anglais, les Français et les Américains se sont partagée, qu’ils administrent chacun suivant ses lois, à l’aide d’un conseil municipal et d’un maire élu, sous l’autorité supérieure du consul. Cette organisation communale, indépendante des fonctionnaires chinois, a été, non sans raison, jugée nécessaire ; instituée dans le temps où les rebelles entouraient Shang-haï, elle survit à ces circonstances difficiles, et s’appuie en les affirmant sur deux principes, l’impuissance du gouvernement chinois et l’incompatibilité des lois de l’empire avec la civilisation occidentale. C’est un pas décisif dans la voie où le fils du ciel est entré, la baïonnette dans les reins, et l’on peut y voir une première concession qu’il n’est peut-être pas téméraire de regarder comme le prélude de sacrifices plus étendus.

C’est à cause de la profondeur du port et de l’excellente position qu’elle occupe à proximité des cantons producteurs de la soie et du thé[1], qu’on a choisi la ville de Shang-haï pour en faire l’entrepôt principal du commerce étranger avec le Céleste-Empire. Cette détermination prise, rien n’a été négligé pour construire à côté de la ville chinoise de ce nom une cité superbe, digne de la mission que lui assignaient ses fondateurs. La monotonie du site et l’insalubre humidité du climat rappellent les plaines de la Basse-Cochinchine,

  1. C’est de Shang-haï que partent les sept huitièmes des 40 000 balles de soie et le tiers des 75 millions de kilogrammes de thé que la Chine exporte annuellement. — (Seize mois autour du monde, par M. Siegfried.)