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EXPLORATION DU MÉKONG.

quelle le souvenir du Camoëns et de la grandeur passée du Portugal jette un voile de poétique mélancolie. La magnificence et la sûreté de la rade ont contribué à fixer sur Hong-kong le choix des Anglais. Ceux-ci ont remporté là sur la nature une victoire qui fait honneur à leur opiniâtre génie, servi par un merveilleux instinct. Le développement croissant, de Shang-haï a notablement diminué le mouvement des affaires à Canton, et par suite Hong-kong, placée à l’embouchure du fleuve qui relie à la mer le grand marché de la Chine, méridionale, s’est trouvée atteinte elle-même dans sa prospérité commerciale. Avec les ressources de tout genre réunies sur un étroit territoire, avec ses eaux, profondes dominées et abritées par des montagnes, avec ses bassins de radoub, elle n’en demeure pas moins comme le centre de la grande navigation à vapeur dans ces parages. La compagnie française des Messageries, impériales s’obstine elle-même à maintenir à Hong-kong sa tête de ligne, alors qu’elle s’était engagée envers l’état à l’établir à Saigon. Les capitaux, qui ont l’oreille fine à la voix de l’intérêt, sont sourds au langage du patriotisme, et j’ajoute qu’il y aurait d’ailleurs quelque injustice à quereller à ce dernier point de vue une grande compagnie qui fait tant d’honneur à notre pavillon dans ces mers éloignées ; mais enfin, depuis que Saigon possède un dock, on ne s’explique guère le retard apporté par les Messageries impériales, largement subventionnées par l’état, à l’exécution d’une clause profitable à notre colonie naissante, et qui touche en quelque sorte à notre dignité. Pour nous, la conséquence de cette organisation du service, organisation regrettable à des titres plus sérieux, fut l’ennui de déménager et de quitter le Dupleix, spécialement affecté au trajet entre Hong-kong et Shang-haï, pour monter à bord de l’Impératrice, qui va de Hong-kong à Suez[1]. La Chine disparut derrière nous, et les côtes de la péninsule annamite ne tardèrent pas à s’élever à l’horizon au-dessus des flots. Nous les suivîmes dans la direction du sud-ouest jusqu’au promontoire qui les termine et marque l’entrée de la rivière de Saïgon.

Un soir du mois de décembre de l’année 1865, j’avais aperçu de loin trembler dans l’eau le mince rayon de lumière qui, du sommet du cap Saint-Jacques, se projette sur la mer. Trente mois plus tard, revenu au même lieu, je voyais la colonne blanche du phare étinceler au soleil de midi ; cédant au penchant superstitieux qui naît aisément chez l’homme demeuré longtemps dans un commerce in-

  1. Depuis l’ouverture, du canal, les paquebots vont de Hong-kong à Marseille. Ils ont ainsi quarante jours de chauffe, alors que les Anglais ne veulent pas dépasser vingt ou vingt-cinq jours. Cet inconvénient serait un motif de plus en faveur de l’installation de la tête de ligne à Saigon.