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LES RÉFORMES DE L’ENSEIGNEMENT PRIMAIRE.

pas plus exorbitante que les dispositions que nous venons de citer.

À ceux qui cherchent dans l’économie politique un argument contre les lois qui restreignent l’initiative privée, à ces théoriciens que nous avons appelés les économistes à outrance, nous avons déjà répondu que l’état, s’il ne devait pas se substituer à l’individu pour remplir le devoir de celui-ci, pouvait en réclamer de lui l’accomplissement, lorsque la société y était intéressée. C’est là le principe de toute législation, la raison d’être de toutes nos lois. Ces susceptibilités exagérées, dont on a quelque peine à s’expliquer l’existence dans un pays démocratique comme le nôtre, ne se rencontrent pas dans la libre Angleterre, si jalouse pourtant des droits de l’individu. Nos voisins d’outre-Manche, poussant à l’extrême le respect de la propriété, ne comprennent pas l’expropriation pour cause d’utilité publique, et ne s’en servent pas pour ouvrir dans leurs villes des voies gigantesques ; mais ils ne craindront pas, dans l’intérêt d’une utilité bien supérieure, de faire pénétrer la lumière et la morale dans les esprits en les expropriant de leur ignorance. « Nous savons tous, a dit lord Forster à la chambre des communes, que la science n’est pas la vertu, que l’instruction élémentaire l’est moins encore, et que l’éducation seule ne donne pas la force de résister aux suggestions mauvaises ; mais, bien que le savoir ne soit pas la vertu, le manque d’éducation est une faiblesse, et, dans les âpres luttes de la vie, qui dit faiblesse dit généralement infortune, et l’infortune conduit au vice. Qui de nous ne voit, soit dans les villes, soit dans les campagnes, des enfans grandir en allant probablement au crime et plus probablement encore à la misère, en raison soit d’une éducation mauvaise, soit d’un manque absolu d’éducation ? En présence d’une telle pensée, comment nous serait-il possible de prendre sur nous la responsabilité de laisser régner une année de plus cette ignorance et cette faiblesse ? Maintenant d’ailleurs que l’on a donné au peuple le pouvoir politique, on ne peut plus attendre pour lui donner l’instruction. » Si ces considérations sont assez puissantes pour vaincre en Angleterre l’esprit d’individualité, elles doivent être assez fortes pour faire ajouter chez nous une disposition à celles qui limitent déjà la liberté individuelle dans l’intérêt général.

La crainte de voir l’état imposer son enseignement et « manquer la jeunesse à son effigie » est-elle plus légitime que les répugnances que nous venons de combattre ? C’est tout gratuitement qu’on attribue aux partisans de l’instruction obligatoire l’intention d’exiger la fréquentation des écoles de l’état. Il suffit, pour faire bon marché de cette imputation, de rappeler que, si la liberté de l’enseignement supérieur est aujourd’hui à l’étude, la liberté de l’enseignement