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les larmes éternelles. Restait un moment à choisir entre l’heure de la faute et celle de la damnation, une image nouvelle à tracer de cette lamentable aventure, qui en rappellerait à la fois le début et le dénoûment. C’est ce moment intermédiaire que M. Cabanel a remis sous nos yeux, il a représenté Françoise et Paul expirant l’un à côté de l’autre et livrant jusque dans leur agonie le secret de leurs amours. Le bras droit de Paul défaille en voulant soutenir la tête bien-aimée qu’il tâche d’entourer encore d’une dernière protection et d’une dernière caresse. De son bras gauche, instinctivement reployé par la souffrance et se crispant dans un effort inutile, le malheureux jeune homme essaie de retenir la vie qui s’échappe avec le sang de son cœur, tandis que, le corps déjà raidi par la mort sur le lit de repos où elle est tombée, Françoise incline son pâle visage vers celui de Paul, et par une tentative de mouvement suprême cherche à rapprocher son dernier souffle du dernier soupir de son amant. S’il n’était permis de regretter dans ce groupe quelques lignes aiguës ou saccadées, parfois disgracieuses, comme dans le bas de la robe et les pieds de Françoise, si en outre l’attitude de Lanciotto Malatesta, qu’on aperçoit au second plan, ne laissait quelque incertitude sur la construction et sur l’exacte direction de la figure, il n’y aurait qu’à louer l’art avec lequel M. Cabanel a su donner à une scène doublement périlleuse une expression aussi chaste qu’exempte d’emphase mélodramatique. Quant à l’exécution même, elle prouve une fois de plus le goût délicat du peintre et son habileté à créer l’harmonie dans l’effet et dans la couleur par la finesse des transitions.

Si jamais d’ailleurs M. Cabanel a montré cette science particulière à son talent des dégradations et des nuances, n’est-ce pas dans le portrait de Mme la duchesse de V… qu’il a exposé cette année, œuvre charmante où la plus pénétrante intelligence de la physionomie s’allie à une grâce de pinceau singulière ? Élégance sans coquetterie de l’attitude, des contours, du modelé, suavité de l’effet, — malgré l’intensité naturelle des tons qui accompagnent les chairs et qui passent de la couleur blonde des cheveux au violet du fond, au rouge du fauteuil, à la couleur noire de la robe et des dentelles, — tout dans ce portrait résume avec un art exquis les conditions de ce qu’on appelle aujourd’hui « la distinction, » c’est-à-dire ce genre de beauté un peu frêle il est vrai, un peu dépourvue de vigueur ou de franchise, mais profondément expressive en raison de sa délicatesse même et des fins sous-entendus qu’elle implique.

Un des portraits les plus dignes d’être cités à côté du portrait peint par M. Cabanel est celui de la grande-duchesse Marie Nicolajerna, dû au pinceau de M. Jalabert, et relégué, malgré tout son mérite, dans une de ces salles supplémentaires où l’on n’arrive