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fond, ils sentent la nécessité de ne pas pousser les dissentimens à outrance, de ne point trop affaiblir l’Autriche dans son travail de reconstitution, et c’est la pensée aussi politique que juste que le prince Ladislas Czartoryski exprimait récemment dans un discours à l’occasion de l’anniversaire de la constitution polonaise du 3 mai 1791. Les Polonais ont un intérêt trop évident à l’existence, à la force de l’Autriche, et les autres nationalités disséminées dans l’empire ne sont pas moins intéressées à une solution équitable des difficultés actuelles. Si le ministère Potoçki échoue, on ne voit pas trop par quel côté on pourra reprendre ce problème, toujours pressant et toujours fuyant.

Que se passe-t-il dans le midi de l’Europe ? Il est évident qu’il y a quelque chose de vague et d’inconnu flottant à la fois sur l’Espagne et sur le Portugal. Pour la première fois depuis bien des années, une insurrection militaire vient d’éclater à Lisbonne et d’ensanglanter le seuil du palais d’Ajuda, où réside le roi. Voici quelque temps déjà qu’une certaine inquiétude régnait en Portugal. Des projets financiers présentés par le gouvernement avaient ému l’opinion et suscité une assez vive résistance. Le ministère présidé par le duc de Loulé, tout en ayant la majorité dans les chambres, rencontrait une opposition tenace ; puis enfin, circonstance grave, le maréchal duc de Saldañha, qui a été dans ces dernières années ambassadeur du roi dom Louis à Rome et à Paris, était rentré en Portugal. Or, quand le duc de Saldañha est en Portugal, il faut s’attendre à quelque chose. Ce léger et fantasque vieillard, qui est arrivé à plus de quatre-vingts ans, a passé sa vie à renverser des ministères, à se révolter un peu pour toutes les raisons et même sans aucune raison et sous tous les drapeaux. La dernière fois qu’il s’est insurgé, — c’était encore sous la reine doña Maria, — on constatait gaîment qu’il avait changé cinquante-quatre fois d’opinions. Le fait est qu’il n’a jamais eu d’opinions, il a des caprices et des intérêts. Rentré il y a quelque temps dans son pays, après avoir passé quelques jours à Madrid, mécontent et frondeur selon son habitude, il n’avait pas tardé à conspirer et à se servir de sa vieille popularité dans l’armée pour séduire à sa cause quelques régimens ; on le savait à Lisbonne, on n’ignorait pas les menées du vieux duc, on essayait de le faire partir, et en définitive on n’osait rien faire contre lui. Les choses en étaient là lorsque l’autre jour, à minuit, sur un signal le drapeau de l’insurrection était hissé sur le fort Saint-George, qui commande Lisbonne, et Saldañha, s’emparant de quelques bataillons secrètement gagnés, marchait sur le palais d’Ajuda. Le premier mouvement de la garde du palais était naturellement de résister. On échangeait quelques coups de feu qui tuaient quelques pauvres soldats et en blessaient un plus grand nombre ; puis on fraternisait, et Saldañha entrait triomphant au palais. Que s’est-il passé entre le roi et lui ? Toujours est-il qu’après cette entrevue le vieux duc