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Vienne veillait une haine ardente dont il était l’unique objet, à qui le traité de Versailles avait mis en main un puissant moyen d’action, et qui, pour peu qu’on lui laissât le temps de s’en servir, allait entraîner tous ces élémens encore mous et confus, les coaguler pour ainsi dire dans une coalition redoutable, pour les animer ensuite par l’énergie de la passion et du caractère. Voilà ce que savait Frédéric et ce qu’il avait hâte de prévenir. La conjuration n’existait que dans le cerveau de Marie-Thérèse ; mais c’est là qu’il voulait l’écraser dans son germe. Telle est la réalité pure. Si elle le justifie à la rigueur d’avoir poussé le cri de guerre, rien ne saurait excuser le cynique abus de la force et de fraude insolente qui déshonora ses premiers exploits dans le rôle déjà par lui-même assez odieux d’agresseur.

Quoi qu’il en soit, dès le 1er août, la demande d’explications annoncée au ministre anglais était parvenue à Vienne, et l’impératrice-reine ayant fait réponse en termes à la fois hautains et ambigus, une seconde missive partit sous la forme d’une véritable sommation de désarmer. Celle-ci n’ayant pas eu meilleur sort, dès le 29 du même mois Auguste III et le comte de Brühl, à leur retour d’une partie de chasse, étaient prévenus par le comte de Maltzahn que le roi de Prusse, à la tête de ses troupes, déjà rassemblées sur la frontière, demandait à traverser le territoire saxon pour entrer par la Bohême dans les états de l’impératrice.

Sans être imprévue, cette brusque demande jeta le conseil saxon dans la stupeur. C’était une chance terrible qu’on s’était toujours flatté de conjurer. Dans les derniers temps principalement, il n’était sorte de prudente et même de lâche précaution qui n’eût été mise en œuvre pour détourner de la Saxe les regards et les soupçons de son redoutable voisin. Non-seulement le roi Auguste n’était entré en aucuns pourparlers avec les signataires du traité de Versailles, mais l’envoyé saxon à Paris, ayant accepté une fois la conversation sur ce sujet avec M. de Rouillé, avait reçu courrier par courrier une sévère réprimande. Non-seulement aucun armement extraordinaire n’avait été préparé ou médité, mais les mesures de défense ou d’entretien commandées par la sécurité des territoires et les besoins de l’armée existante n’étaient pas prises, et le commandant en chef, le général Rustowski, entassait mémoire sur mémoire pour présenter ses réclamations les plus urgentes sans pouvoir obtenir de réponse. Enfin, dans les derniers jours, comme la marche des troupes prussiennes vers la frontière devenait très apparente, toutes les troupes saxonnes avaient reçu ordre de se replier vers l’intérieur du pays, les garnisons même des places avaient été réduites à leur minimum d’effectif pour éviter, comme le fit dire le comte de Brühl par son ministre à Berlin, que le